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Leica M3

(1954-1966) - das original

mercredi 5 janvier 2005, par Jean D.

Ci-dessus un Leica M3 fabriqué en 1955 (noter en particulier l’absence du levier sélecteur de champ) ;
ce boîtier est équipé du Summicron f:2/50 mm à mise au point rapprochée, coiffé de son pare-soleil ajouré.

Une innovation majeure...

1954 fut une année-charnière, extrêmement féconde car Leitz présenta un Leica considérablement modifié, qui respectait néanmoins l’esprit de cet appareil emblématique de la photographie en petit format commercialisé depuis 1925... Une révolution, tant esthétique que technique, prenait le relais du splendide modèle IIIf (produit entre 1950 et 1957) : le Leica M3 était né, archétype de la lignée M et chef d’œuvre probablement inégalé...

L’esthétique d’abord, inspirée des souvenirs de l’Art Déco et du Bauhaus, influencée par le style streamline : une ligne très pure et fluide, avec ce capot plat dans lequel molettes et levier d’armement sont intégrés, trois fenêtres rectangulaires grandes ouvertes en facade pour laisser entrer la lumière à flots, un aspect superbement achevé... demeurant analogue, un demi-siècle après, chez les Leica MP et M7 puis chez les M numériques !

La technique maintenant... Les trois modifications essentielles par rapport au Leica IIIf sont les suivantes :

  1. Abandon de la monture d’objectif à pas de vis au diamètre 39 mm, au profit d’une monture à baïonnette de diamètre supérieur permettant l’interchangeabilité plus rapide des objectifs (encliquetage après rotation selon un angle de 30°). La lignée des boîtiers à pas de vis ne fut pas pour autant éteinte, car elle connut une résurgence de 1957 à 1960 avec le Leica IIIg, qui constitua cependant son chant du cygne...
  2. Adoption d’un levier assurant l’armement de l’obturateur et l’entraînement du film, de courbure particulièrement harmonieuse ; le déclencheur est idéalement situé dans l’axe de ce levier.
  3. Amélioration considérable de la visée télémétrique par l’adoption d’un bloc viseur-télémètre aux images confondues, d’une conception aussi nouvelle qu’incroyablement complexe, qui suscita l’admiration... La base télémétrique elle-même est presque doublée puisqu’elle passe de 38 mm à 69,25 mm, ce qui se traduit par une précision accrue... L’image de visée est extrêmement claire et lumineuse, presque grandeur nature (rapport 0,91), délimitée par un cadre collimaté (ce qui signifie aérien, projeté à l’infini) corrigé automatiquement de la parallaxe. Trois cadres sont disponibles, indiquant le champ couvert par les objectifs de 50, 90 et 135 mm de distance focale ; les cadres 90 et 135 mm apparaissent lorsque l’objectif correspondant est mis en place. Le cadre 50 mm (visible en permanence) est continu, blanc laiteux, ses angles sont arrondis (peut-être en rapport avec la découpe des caches en carton des diapositives de l’époque !), il n’occupe pas la totalité du champ mais permet de voir un peu à l’extérieur ; chacun des deux autres cadres est matérialisé par quatre segments lumineux. L’image télémétrique occupe le centre du champ, parfaitement délimitée dans un petit rectangle au contour franc. Voici le schéma de ce bloc viseur-télémètre (remarquer notamment que le trajet de l’image télémétrique est orthogonal, et que le plan des cadres est perpendiculaire à l’axe optique, ce qui ne sera plus le cas chez tous les modèles ultérieurs) :

Le Leica M3 présente quatre innovations moins importantes :

  1. Le compteur de vues est interne, apparaissant dans une petite fenêtre ronde ; sa remise à zéro est automatique lorsqu’on ôte la bobine réceptrice.
  2. Un volet au dos de l’appareil permet de contrôler le chargement du film (toujours effectué par le fond) et d’inspecter plus facilement la propreté de l’intérieur de l’appareil ; ce volet est solidaire du presse-film et comporte un disque aide-mémoire du film utilisé.
  3. Le barillet de réglage des vitesses est unique (les vitesses lentes ne sont plus affichées sur un bouton séparé), cranté, ne tournant pas lors de l’armement et du déclenchement. Ce barillet comporte une encoche permettant l’accouplement éventuel avec un posemètre externe Leicameter glissé dans la griffe porte-accessoires.
  4. Suppression du réglage du point d’allumage des lampes-éclair et adoption de deux prises-flash séparées (pour flashes magnésique et électronique), situées sur l’arrière, au-dessus du volet ; synchro-flash électronique au 1/50e.

Le Leica M3 connut de nombreuses modifications mineures pendant ses premières années :

  1. Au tout début de la production, la baïonnette ne comportait que quatre vis l’assemblant au carter, mais une cinquième vis fut rapidement ajoutée, en position à midi : cette vis supplémentaire, dont la tête (n’affleurant pas) est dissimulée par un sceau de cire noire portant la lettre L (initiale de Leitz), unit la baïonnette et le capot. Son rôle essentiel est d’empêcher la dépose du capot, à moins de détruire le sceau de cire, ce qui prouverait que l’appareil a été démonté : cela permet un contrôle pendant la période de garantie ! Après une intervention, un nouveau sceau est appliqué sur la tête de la vis après remontage. Certains réparateurs indépendants apposent un sceau qui leur est personnel. Notons que cette cinquième vis n’existe pas sur les modèles de Leica à pas de vis, et que le principe du sceau de cire a été supprimé à partir du Leica M6...
  2. Au cours de la deuxième année (à partir du n° 782001), suppression de quatre vis apparentes assemblant le capot au châssis (deux devant et deux autres derrière), probablement jugées superflues et peu jolies ; le capot demeure néanmoins fermement arrimé au châssis, sans qu’une visserie traditionnelle ne soit visible !
  3. Simultanément (à partir du n° 782001), apparition d’un épaulement ("rondelle") à la base de l’axe du levier d’armement, répondant à la cuvette du déclencheur et comblant un vide disgracieux qui pouvait laisser s’infiltrer de la poussière sous le capot.
  4. Au cours des deux premières années, modification de la tête de l’axe du bouton de rembobinage (qui constitue également l’une des vis qui assemblent le capot sur le châssis et permet, par sa rotation, de s’assurer du bon défilement du film) : cet axe fut d’abord traversé d’une fente peinte en rouge ou perforé d’un minuscule fraisage cylindrique (un seul trou rouge décentré), puis perforé de deux fraisages (deux trous rouges symétriques). La répartition entre "fente rouge" et "trou rouge décentré" semble avoir été aléatoire, dès le début de la production (contrairement à ce que l’on pourrait penser les boîtiers "fente rouge" ne possèdent pas l’antériorité absolue car des boîtiers "trou rouge décentré" aussi anciens existent également) ; l’axe comportant deux trous rouges symétriques apparut en 1955 avec le boîtier n° 782001 et perdurera sur tous les "M" argentiques ultérieurs dépourvus de manivelle de rembobinage.
  5. Addition du levier sélecteur de champ en 1955 (à partir du n° 785801), permettant de visualiser le champ couvert par chacun des deux objectifs de 90 et 135 mm, quel que soit l’objectif en place.
  6. Le presse-film en verre noir (solution coûteuse, très raffinée) fut remplacé par un presse-film traditionnel en tôle, en 1956 (à partir du n° 844001).
  7. La succession des vitesses était initialement :
    B - 1 - 2 - 5 - 10 - 25 - 50 - 100 - 250 - 500 - 1000
    En 1957 (à partir du n° 854001), elle adopta la norme en vigueur :
    B - 1 - 2 - 4 - 8 - 15 - 30 - 60 - 125 - 250 - 500 - 1000
  8. L’action sur le levier d’armement, initialement en deux coups d’assez brève amplitude, est passée à un coup unique d’amplitude un peu supérieure. Contrairement à une idée reçue, chacun des deux coups ne correspond pas respectivement à l’armement de l’obturateur et à l’entraînement du film, mais cette action est simultanée ; Leitz craignit que le film ne se rompe en cas d’armements vigoureux en reportage et préféra démultiplier le mouvement en adoptant la solution deux coups, puis revint sur cette décision en 1958 (à partir du n° 919251).
  9. Suppression des deux minuscules billes serties sur les extrémités du volet, le maintenant fermé si la semelle est ôtée (raffinement inutile, il est vrai).
  10. Œillets de courroie assez massifs et triangulaires remplacés par des œillets arrondis, plus discrets et légèrement décalés vers l’avant afin de mieux équilibrer l’appareil.
  11. Apparition en 1958 de repères indicateurs de profondeur de champ, liés à l’image télémétrique.
  12. Une quantité de modifications encore plus mineures survinrent pendant les premières années, telles celles concernant le diamètre de l’œilleton de visée et la longueur des leviers d’armement et de rembobinage, mais elles s’avèrent moins visibles et ne peuvent toutes être détaillées ici.

Production :

Le Leica M3 fut fabriqué à 226178 exemplaires, entre 1954 (n° 700000) et 1966 (n° 1164865). L’essentiel de cette production est constitué de boîtiers chromés, mais 3010 boîtiers furent laqués noir (ou seulement 1320 selon une autre source) et 144 laqués vert olive (les M3 Bundeseigentum, destinés à l’armée allemande).

Objectifs :

La gamme d’objectifs existant à pas de vis fut bien sûr modifiée pour adopter la nouvelle monture à baïonnette. En outre, afin de perpétuer la compatibilité légendaire du système Leica, trois bagues intermédiaires permettent de monter les objectifs à pas de vis sur le Leica M3 (et par la suite sur tous les Leica M), en conservant la visée télémétrique et la correction automatique de la parallaxe ; ces bagues sélectionnent également le cadre devant apparaître dans le viseur ; leur épaisseur est de 1 mm, afin de compenser cette différence entre la face d’appui de l’objectif et le plan du film existant entre les boîtiers à pas de vis et les boîtiers M (référence n° 14097 pour les distances focales de 21 à 50 mm, 14098 pour 90 mm et 14099 pour 135 mm).
Une version du Summaron f:3,5/35 mm fut prévue avec un correcteur de viseur (amovible) : il s’agit d’un ensemble optique divergent procurant le champ du 35 mm dans le cadre du 50 mm. Ultérieurement, une version du Summaron f:2,8/35 mm, du Summicron f:2/35 mm et du Summilux f:1,4/35 mm comportant ce correcteur de viseur (mais non amovible) furent fabriquées pour le Leica M3.

Ci-dessus le même Leica M3, équipé du Summaron f:2,8/35 mm à correcteur de viseur, coiffé de son pare-soleil ajouré.

La chambre Visoflex :

L’universalité du Leica s’étendant (à l’époque...) à la visée reflex, une nouvelle chambre reflex à miroir fut fabriquée (Visoflex II, puis III), permettant l’utilisation en photographie normale d’objectifs de 65 à 560 mm de distance focale, et diverses applications comme la macrophotographie (avec ou sans le dispositif à soufflet). Bien sûr, cette chambre reflex est utilisable sur tous les boîtiers M ultérieurs.

Pour terminer, un peu d’étymologie !

Comme chacun sait, le nom Leica dérive de la contraction de Leitz Camera. Le modèle M3 tire sa dénomination de l’initiale du mot Messersucher, ce qui signifie littéralement viseur mesureur (allusion à l’incorporation du télémètre dans le viseur), et du nombre des cadres disponibles dans ce viseur. Mais quid du nom du modèle M2 ? Le raisonnement n’est pas le même (et devient d’ailleurs assez difficile à suivre ensuite !) : le chiffre 2 signifie probablement qu’il s’agit du deuxième modèle de la lignée M (hormis le confidentiel Leica MP)...

Conclusion : le M3, un tournant dans l’histoire du Leica...

La conception de cet appareil constitua un défi technologique que le savoir-faire des opticiens et des mécaniciens de Wetzlar releva brillamment. Le Leica M3 représente une charnière dans l’évolution du Leica, qui propulsa ce concept photographique dans une nouvelle ère et lui permit de se maintenir en tête de l’innovation en matière d’esthétique industrielle et de technique photographique. Ce modèle s’est affirmé comme un magnifique appareil offrant cette visée rapide, précise et limpide et ce déclenchement silencieux qui favorisent la spontanéité : entre les mains des photographes les plus illustres, le M3 a suscité d’innombrables images devenues célèbres, marquant ainsi durablement l’histoire de la photographie. Enfin, six décennies après son apparition, de nombreux Leica M3 fonctionnent comme au premier jour !

Les Jacob Sisters transportant une maquette en bois de Leica M3 et de Summarit f:1,5/5 cm
(1967, photographe inconnu)


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