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Analyse de 50 mm à vis en N&B par Jean-Yves

Juillet 2005

Cher(e)s ami(e)s,

D'ici la rentrée, comme promis, je devrais pouvoir vous faire parvenir le bilan de nos tests des 50 mm à vis sur négatif couleur, grâce à la complicité de Sylvain-Hérisson et de Jean-Jean D.
D'ores et déjà je suis en mesure de vous livrer le résultat (préliminaire) d'un petit test comparatif fait à la maison sur du film N&B entre les objectifs suivants : Summar f :2 (1937), Summicron rentrant vissant "Gelb" ("jaune") f :2 (1952), Elmar vissant f :3,5 "échelle rouge" (1958), Elmar M f :3,5 (fin années 50), Summicron "à mise au point rapprochée" f :2 (1960), Jupiter 3 vissant f :1,4 (1985).

Tous ces objectifs sauf le Jupiter font partie des "Leitz historiques". Tous en excellent état, voire état exceptionnel. A ce sujet je rappelle ce qui est dit généralement sur la fragilité (propension à l'abrasion) des traitements de surface Leitz, notamment chez les Summicron et les Elmar anciens, ainsi que sur leur aptitude à développer des cristallisations parasites ou des dépô:ts ("brume") sur les surfaces internes, notamment par comparaison avec leurs homologues japonais (voir le site de Camera Quest). Ici, les objectifs étaient tous impeccables, notamment grâce au soin apporté par Gérard Métrot à leur nettoyage. Pourquoi inclure un Jupiter 3, objectif russe 'récent' (aimablement prêté par Hérisson) ? Pour plusieurs raisons : (1) il est bon marché et permet d'accéder d'emblée au monde du Leica télémétrique, que ce soit à vis ou M (par le biais d'une bague adaptatrice) ; (2) il est compact et ultra-léger, ce qui le démarque des Leitz et peut présenter un avantage en voyage ; (3) il présente une amplitude d'ouverture intéressante en condition de reportage, surtout avec du 400 ASA : f :1,4 à f :22. Avec cela, on peut passer de la plage au pub sans problème... Last but not least, le Jupiter n'est pas un "cul de bouteille" : c'est la formule du Zeiss Sonnar traité au lanthanium (il possède cet œil jaune caractéristique du Summicron rentrant première version qui participe à ce test).

But et conditions du test

Le but d'un tel test n'est pas de concurrencer Erwin Puts, ni les courbes FTM. C'est un test de photographe, destiné à voir en quoi les objectifs peuvent être différenciés en pratique. Deux types de 'scènes' paraissent importantes à comparer :

  1. les scènes de type contre-jour, pour voir comment les objectifs résistent à la réflexion parasite des rayons incidents (flare) ;
  2. des scènes en intérieur, plutôt en basse lumière, pour voir leur aptitude à séparer les gris très proches.
Pris par le temps, c'est ce deuxième point exclusivement que je me propose d'aborder ici. La photo suivante a été faite sur pied, avec un Leica M2 muni au besoin d'une bague adaptatrice pour monter les objectifs à vis.
J'ai fait cinq prises de vue à f:2 ; f:3,5 ; f:8 ; f:12 et f:16. On peut donc comparer tous les objectifs entre f:3,5 et f:12 (cette derniè est l'ouverture minimum du Summar). On peut comparer aussi le Summar, les Summicron et le Jupiter à f:2, ainsi que les Elmar, Summicron et Jupiter à f:16. Le Jupiter et l'Elmar vissant ferment à f:22 mais je n'ai pas fait de prise de vue à cette ouverture.

La photographie du test

La distance du mur du fond est 5 m, le bouquet, sur lequel la mise au point a été faite (fleur blanche), étant à 1,2 m.

Traitement et examen des épreuves

Le film est de l'Ilford Delta 100 développé dans du Rodinal. J'ai tiré toutes les photos en 24x30 sur du papier RC Kodak Polymax, exposé sous un agrandisseur Leitz Focomat IIc sur un papier de grade 2 (Ilford) et développé dans de l'Agfa Neutol ton neutre. Pour le site Summilux, je ferai au besoin des scans généraux et en plusieurs échantillons zonés.

Le tirage a été 'calibré' à partir des vues réalisées au Summar, qui est un objectif à contraste faible. En conséquence de quoi les épreuves issues des autres objectifs paraissent légèrement 'dures'. J'ai voulu qu'on puisse comparer les vues en calant les ombres dans le même référentiel. Pour cela, j'ai utilisé une cellule de labo, posée sur mon margeur, qui m'a permis de faire varier légèrement l'ouverture de sorte que la zone la moins dense de chaque négatif représente le même noir (compensant par là théoriquement les petites variations d'exposition à la prise de vue). Dans la pratique, on a des tirages de densité légèrement variable, ce qui peut soit refléter les variations de contraste des objectifs (glissement du gris moyen et des hautes lumières par rapport au noir), soit les variations de réponse à la filtration de négatifs exposés différemment. Je n'ai pas poussé plus loin mon analyse...
Les épreuves ont été examinées pour constater :

  1. la définition générale sur le sujet principal (le bouquet, notamment les nervures des feuilles, car les fleurs étaient elles-mêmes surexposées) ;
  2. la profondeur de champ (PDC), qui peut varier d'un objectif à l'autre à ouverture constante ;
  3. la structure du flou, éventuellement liée à la PDC ;
  4. le contraste et le micro-contraste (c'est-à-dire la capacité à restituer notamment les détails dans les ombres).

Résultats

La première chose que je dois dire c'est que les différences, en terme de définition (dans la zone de mise au point (MAP) et, par voie de conséquence, dans la zone floue du second plan), sont davantage liées à mon impossibilité de faire la MAP exactement au même endroit, au centimètre près, d'une série à l'autre (d'un objectif à l'autre). Un petit décalage est normal, sur un sujet aussi rapproché, et cela me fait dire que pour un prochain test il vaut mieux choisir un premier plan net plus lointain. La MAP la plus précise semble avoir été faite sur le Summicron rentrant -mais c'est peut-être un hasard-. A côté de cela, la différence est quand même minime entre tous les objectifs Leitz, alors qu'elle est de 5 cm environ pour le Jupiter (sur une distance de 1,2 m c'est beaucoup), pour lequel il a été du coup impossible de comparer le piqué dans le plan de MAP (le bouquet est légèrement flou). Je crois que cela montre un problème de compatibilité des rampes. Cela a déjà été évoqué pour des objectifs Konica (mais pas Voigtländer, à ma connaissance). Un réglage est peut-être possible... Corollaire de cette limitation, il est difficile de comparer certains flous, puisque la quantité et la qualité du flou dépend de la distance avec le point de MAP... Le contraste, en revanche, n'est pas affecté, et peut être comparé.

f:2
A f:2, ce sont les Summicron et le Jupiter qui sont un poil devant. Je dis un poil, et ce sera vrai de toute façon pour toutes les conclusions auxquelles je parviendrai, sauf peut-être sur le contraste et j'y reviendrai. Il ne m'a pas été possible de distinguer franchement le Summicron rentrant du Summicron à MAP rapprochée. J'en profite pour rappeler que ce dernier a été analysé par "The American Photographer" comme le 50 à plus haute résolution jamais testé (voir le site de Camera Quest). Cette distinction est impossible à faire sur mes tirages. Si je devais me prononcer, je mettrais en n°1 le Summicron à MAP rapprochée et le Jupiter ex-aequo. Ceci compte tenu des biais liés aux variations de la MAP, évidemment. Ce qui veut dire que j'ai comparé le Jupiter et le Summicron sur des objets différents. A prendre donc avec des pincettes... Le Summar est très nettement moins défini, même au centre, mais ceci reste du domaine de l'examen détaillé. En l'absence des autres tirages, on reste néanmoins estomaqué par la qualité de l'image délivrée par cet objectif datant de 1937.
En ce qui concerne la PDC, il semble que c'est sur le Summicron à MAP rapprochée qu'elle est la plus réduite. En n°2 ex-aequo, je mettrais le Jupiter et le Summicron rentrant. Le Summar se distingue nettement par une PDC apparemment plus grande, c'est-à-dire des objets du fond plus 'lisibles'. Ceci est à mon avis un attribut du flou typique de cet objectif. En d'autres termes, le Summar délivre un flou très structuré, de type 'bougé' en translation, voire rotationnel (alors que l'appareil est sur pied, évidemment). En l'espèce, c'est comme si l'image était légèrement dédoublée, avec un bord du liseré flou très franc. Le flou le plus mou, le plus fondu est délivré par le Jupiter. Un peu moins fondu, on a le Summicron à MAP rapprochée, puis le Summicron rentrant (à moins que cette hiérarchie entre les Summicron ne soit due à une différence de définition sur les bords, puisque en l'occurrence le flou est jugé sur le capitonnage du fauteuil situé au second plan à gauche, et sur la tenture sombre à gauche en arrière-plan).
Le contraste, enfin est le plus marqué sur le Jupiter, qui montre par là une signature proche des objectifs Leica modernes. Il s'agit ici du contraste vrai, la différence de luminance entre le noir et le premier gris. Cela se traduit par une image avec des ombres enterrées et une fleur "cramée". Je rappelle que ceci est dû au fait que la calibration de l'image a été faite pour le Summar, qui est lui l'objectif le moins contrasté. Avec une gradation plus douce, voire un complément d'éclairement sur le bouquet, j'aurais pu optimiser le tirage de la photo prise au Jupiter. Entre le Jupiter et le Summar, on trouve en premier lieu le Summicron à MAP rapprochée et, un poil en retrait (mais quand même loin du Summar), le Summicron rentrant.

f:3,5
Après avoir traité en détail de la pleine ouverture, je vais aller plus vite, car les différences s'estompent au fur et à mesure qu'on ferme les optiques. La différence de contraste demeure très nette à f :3,5. Les détails en dehors du plan de MAP commençant à apparaître, on peut voir que les micro-contrastes des Summicron sont plus subtils que ceux du Jupiter. En position intermédiaire, on trouve les Elmar. J'en profite pour dire ici que les Elmar M et vissant présentent strictement les mêmes caractéristiques, pour ce que j'ai pu en juger. En ce qui concerne le flou, on constate que celui du Summar est très structuré mais... pas par la vraie texture des objets ! Plutôt par des artéfacts, qui donnent un petit côté psychédélique au fond... Comme à f :2, le flou le plus fondu est celui du Jupiter, suivi en cela par les Summicron, puis les Elmar. J'avais déjà remarqué dans un précédent test que l'Elmar vissant avait une PDC plus grande, à ouverture constante, que le Summicron dernière génération.
Les ombres les plus fouillées et les plus fidèles à la nature des objets sont le mieux reproduites par les Summicron, impossibles à distinguer à ce stade. Le Jupiter donne des ombres relativement comparables aux Elmar, c'est-à-dire intermédiaires entre les Summicron et le Summar. Les ombres sont riches sur le Summar, à cause du faible contraste de l'objectif, mais leur détail n'est pas aussi réaliste, comme je l'ai souligné à propos du flou. La meilleure définition est donnée par les Summicron et le Jupiter, suivis de près par les Elmar, et de loin par le Summar (encore que pour ce dernier, la remarque faite à f:2 reste valable). Chose importante à noter : on est à la pleine ouverture des Elmar, mais ils font déjà jeu quasiment égal avec les autres objectifs, eux déjà un peu diaphragmés. J'en conclus qu'il ne faut pas se priver de shooter à pleine ouverture avec ces objectifs de 'reportage'.

f:8
On est là théoriquement à l'optimum des optiques en termes de définition. C'est également une ouverture standard pour les photos en extérieur, dans des conditions 'de reportage', entre 100 et 400 asa. Je dois dire que ce n'est pas à cet ouverture que l'on pourra faire reposer un critère pour choisir un de ces objectifs plutôt que les autres : à cette ouverture ils sont tous très bons, évidemment. Je dirais que le Summar conserve son empreinte (fingerprint) d'objectif à faible contraste et "effet 3D" (notion souvent lue, et qui traduit en fait l'aptitude à dédoubler le fond comme on l'a vu précédemment). Le Summar, à cette ouverture, possède la plus faible PDC effective. Son flou devient remarquablement beau (là où on est déjà presque net avec le Jupiter, par exemple). Il est intéressant de noter que la PDC effective augmente avec la date de conception de ces optiques. Ce qui me fait comprendre pourquoi Jacques Zekkar affectionne le vieux Thambar f:2,2/9cm pour les portraits... La hiérarchie des contrastes et des micro-contrastes établie aux ouvertures plus grande demeure valide. Notamment, le Jupiter est indiscutablement l'optique la plus contrastée.

f:12
On est là théoriquement dans le début de la fin... en termes de qualité (définition etc...). J'avoue que les différences sont difficiles à apprécier ! Je dirais que la définition des Summicron est un peu supérieure à celle des Elmar et du Jupiter et que le Summar demeure en retrait. Pour le reste, les caractères des Elmar et des Summicron sont proches. Les Summicron résolvent mieux les micro-contrastes que le Jupiter, qui procure de ce point de vue une image comparable à celles des Elmar. Mais la PDC du Jupiter semble plus grande (fond plus défini) que celle des objectifs Leitz. Conclusion : même quand vous fermez, vos optiques Leitz conservent un bokeh plus marqué, plus velouté.

f:16
Je n'ai pas pu voir de différence notable, excepté sur la PDC évidement, entre les images faites à f:12 et celles faites à f:16 : même fermées à fond, dans les conditions de ce test toutes ces optiques sont excellentes. On a une baisse très légère de piqué sur le bouquet, mais c'est très subtil. Quant à distinguer les optiques les unes des autres, cela devient assez aléatoire. Il faudrait faire d'autres photos, en contre-jour notamment, pour avoir une vision plus complète.

En conclusion, vous aurez remarqué que les différences, globalement cohérentes d'une ouverture à l'autre, ne sont pas forcément bien argumentées par ces négatifs, à cause des limitations présentées plus haut, en particulier le défaut de MAP sur un seul et même objet. On peut dire néanmoins que le Summar est celui qui se distingue le plus des autres objectifs : c'est celui qui a le plus bas contraste, la plus petite PDC, avec toutefois un flou très structuré par des artéfacts optiques, et une résolution en retrait, même au centre. On ne peut cependant pas dire que cet objectif est mou, même à pleine ouverture. Il serait intéressant de comparer avec un zoom transtandard, même pro... Le Jupiter tient la dragée haute aux Summicron, sauf en termes de contraste (contraste général supérieur, mais micro-contrastes de ce fait moins subtils). Plus difficile encore est la distinction entre les Summicron et les Elmar. Sur ce test, les Elmar me semblent avoir une PDC un peu plus courte que les Summicron, ce qui infirme une conclusion que j'avais tirée de la comparaison entre l'Elmar vissant et le Summicron dernière génération. Soit le Summicron a beaucoup changé entre sa version II et sa version IV, soit il y a entre les deux tests un biais que je n'ai pas été capable de déterminer (non-linéarité de la PDC en fonction de la distance de MAP par exemple).
Les deux Summicron anciens testés ici sont très proches, et franchement ce n'est pas sur ces négatifs que l'on pourra dire celui à MAP rapprochée est largement meilleur que le rentrant (comme on le lit parfois). En 40x50, je ne dis pas...

Je vous laisse avec...