Bon je vais sans doute paraître un peu grognon, et au bout de vingt ans a suivre le monde de la «street photographie» j’admets volontiers que je suis en pleine crise de foi concernant ce genre.
Donc ce Schaller qui est apparu il y a quelques mois dans mes recommandations YouTube, avec des vidéos où il parle de lui-même à la 3ème personne (« Allan Schaller is on YouTube! » « Allan Schaller goes analogue!») a maintenant un bouquin.
Un coup d’œil rapide sur le site de l’Artiste : des gens qui marchent, des gens qui regardent leur téléphone, des gens qui fument. L’Auteur se fiche visiblement de nous montrer leur visages, leurs émotions, leur vêtements, leur statut social… Schaller n’a visiblement aucune prétention sur la valeur éditoriale de sa série, reste donc à la traiter comme un exercice de style.
Et la malheureusement c’est d’une platitude. Je serais curieux de demander à Allan quels artistes l’inspirent, parce qu’on a l’impression d’une AI qu’on aurait entraînée sur le hashtag #streetphotography sur Instagram. Des gens tous seuls dans l’architecture brutaliste, des gens qui passent dans un petit triangle de lumière entre deux immeubles… Si on excuse la lourdeur du post-traitement, on peut trouver les compositions solides… Trop Solides : aucune prise de risque, pas de grain de folie et très peu d’émotion. Toutes les images sont propres et polies. L’impression d’un photographe qui sort avec son appareil pour trouver des scènes qui ressemblent déjà à des photographies ; est-ce de l’art ou de l’illustration? D’ailleurs sans surprise j’apprends que Schaller est Ambassadeur Leica et anime des workshops de street photography ; la conclusion logique quand votre pratique est aussi formulaïque c’est de mettre en bouteille la formule et d’en faire le commerce.
Cette série sera sûrement très populaire auprès des hôtels de Londres. Un art sans risque et sans folie pour habiller les chambres d’une touche « moderne » mais sans choquer les clients.
Pour contraster, je proposerai de regarder les séquences citadines dans
Minutes To Midnight de Trent Parke. Voila un photographe qui a également décidé de laisser tomber le côté documentaire de l’image pour retranscrire une émotion, mais toute comparaison s’arrête là. Chez Parke les compositions sont décentrées, bancales, sur le fil, et les trouvailles techniques intelligentes (poses longues pour faire disparaître les bus et vans) servent à transmettre au lecteur la confusion et au scepticisme de Parke à l’égard de Sydney.
Chez Parke j’ai l’impression de marcher dans les rues avec lui. J’imagine un photographe qui marche vite, déclenche à l’instinct, et me montre des scènes comme vues du coin de l’œil, dissipées avant d’être comprises entièrement.
Chez Schaller j’ai l’impression de le regarder planté 20min sur le même trottoir, à attendre que le piéton le plus générique possible passe devant un mur en béton qu’il finira par noircir en post prod. Je baille et je le plante là ; je vais me chercher un café.