Bonjour !
Avant-hier, en signalant ce que j'estime être une étonnante
affirmation erronée souvent lue sur "Summilux" - difficulté de mettre au point un objectif de longue distance focale à travers un viseur de Leica "M" dont le grandissement est x 0,58 -, je ne pensais pas ouvrir une discussion aussi animée, qui susciterait perplexité ou controverse. Aussi je vais apporter d'autres éléments qui, je l'espère, clarifieront ce sympathique débat !
Je résume ce que j'écrivais : la difficulté de mise au point en question n'est pas liée à la longue distance focale de l'objectif, cette difficulté demeure la même quelle que soit cette distance focale (car le télémètre fonctionne de façon identique quel que soit l'objectif monté sur le boîtier, grand angulaire ou longue focale). Cette difficulté de mise au point est uniquement liée au faible grandissement du viseur, qui diminue l'ampleur des détails du champ susceptibles de fournir un repère à l'oeil, lequel cherche à les différencier au moyen du télémètre. En revanche, l'unique difficulté réellement liée à l'emploi d'un objectif à longue distance focale est le cadrage, car le cadre correspondant apparaît très petit ; voici ce que j'appelais l'inévitable rançon du viseur multifocal...
alain.besancon a écrit :
(...) notre oeil, qui n'est déjà pas un et unique ne peut et ne sait pas travailler en "on/off" et son appréciation de la netteté n'est qu'une approche "au mieux" du point culminant vite dépassé.
Que l'on cumule un grossissement faible et une mini tare visuelle et une situation délicate telle que sujet proche + grande ouverture
+ longue focale et c'est la cata ! Et je passe sous silence un télémètre qui ne serait pas au top de son étalonnage. (...) quel sens donnez vous à la loupe additionnelle ? (...)
Absolument d’accord, Alain, sauf pour ce que j’ai indiqué en rouge dans votre citation : la longue focale ne constitue pas une situation aggravante, pour la raison expliquée plus haut. Quant au télémètre éventuellement légèrement déréglé, là vous introduisez délibérément une complication ! :wink:
J’aborderai plus loin le cas de la loupe additionnelle.
Mektoub a écrit :
Je pensais que la précison du télémètre dépendait de sa "base". La base est-elle la même pour les 0,58/0,72 et 0,85? --> si oui, alors la précision de MAP devrait être identique. Ou alors j'ai tout faux?
Pas vraiment tout faux, Mektoub, car la base n'est pas la même !
Vous bénéficiez d'un joker, car c'est un peu compliqué...
alain.besancon a écrit :
La base est strictement la même donc la précision est strictement identique. Point barre.
MAIS qui fait la photo: le M ou vous? Dès que l'on introduit l'homme c'est le début de l'imprécision d'où mes réflexions; la machine est d'une précision redoutable mais ne travaille pas seule
Non, Alain, la base n'est absolument pas la même, j'aborderai ce point plus bas... Qui fait la photo ? C'est assurément le photographe, je suis encore parfaitement d'accord, mais un appareil, ça l'aide, alors autant qu'il le connaisse bien afin de pouvoir le maîtriser ; mais vous avez raison :
l'homme est le début de l'imprécision... En particulier, le Leica demeure la précision même, reste à son propriétaire à l'utiliser correctement. Heureusement que cette machine nommée Leica ne travaille pas seule, c'est trop agréablement sensuel de la manipuler...
Il faut consulter la base
! Distinguons la base télémétrique dite
mécanique et la base télémétrique dite
effective :
La base télémétrique mécanique est la distance séparant l'axe optique de la petite fenêtre du télémètre de l'axe optique de la fenêtre du viseur ; pour tous les Leica "M", cette base télémétrique mécanique est de
69,25 mm.
La base télémétrique effective est la distance réelle de la base télémétrique, minorée par rapport à la précédente compte-tenu du grandissement du viseur ; la base télémétrique effective est un segment bien réel sur le plan de l'optique géométrique. Cette distance est le produit de la base télémétrique mécanique par le grandissement du viseur. On conçoit - intuitivement ou par un raisonnement fondé sur la trigonométrie - que plus la base télémétrique effective est grande, meilleure est la précision du télémètre.
Sur ce thème, une digression historique... Je rappellerai la rivalité qui opposa les deux grands opticiens Carl Zeiss et Ernst Leitz, par le biais de leurs appareils photo à visée télémétrique Contax et Leica, en forte compétition : le Contax l'emportait sur le plan de la précision du télémètre, dont la base mécanique atteignait plus du double de celle de son rival...
Retour au Leica "M" avec des chiffres, maintenant
! Les indications suivantes, correspondant aux principaux Leica "M", sont sur le mode :
Type de Leica "M" /
grandissement du viseur /
base télémétrique effectiveLeica M3 /
x 0,91 /
63,0 mmLeica M2 et M4 /
x 0,72 /
49,9 mmLeica M6, M7 et MP "0,58" /
x 0,58 /
40,2 mmLeica M6, M7 et MP "0,72" /
x 0,72 /
49,9 mm (comme le M2 et le M4
)
Leica M6, M7 et MP "0,85" /
x 0,85 /
58,9 mm (nettement en retrait par rapport au M3
)
Revenons à la discussion initiale :
la précision de la mise au point, la facilité avec laquelle on la réalise, sont uniquement liées à la base télémétrique effective, donc au grandissement du viseur, et non à la distance focale de l'objectif utilisé. Une mise au point faite dans le viseur d'un Leica M3 démontre ceci de façon irréfutable... Ce modèle emblématique (à présent cinquantenaire !) demeure d'une précision inégalée, sa base télémétrique effective étant la plus grande de toutes !
A contrario un viseur de grandissement x 0,58 s'accompagne d'une relative difficulté de mise au point, égale quelle que soit la distance focale (j'enfonce le clou !
). Dans la série "aphorismes", c'est ce que j'appelle l'inévitable rançon du viseur multifocal grand-angulaire : mais il faut savoir ce qu'on veut !
Renaud a écrit :
Qu'il s'agisse du 35 ou du 90, la fenêtre du cadrage change, mais pas la dimension de la fenêtre de mise au point. Donc pour moi la difficulté est la même quelque soit la focale. Avec une marge de manoeuvre moins grande pour les longues focales.
C'est exactement ça, Renaud, bravo ! (ce que vous nommez "fenêtre de mise au point" correspond, à l'évidence, au petit rectangle du télémètre) OUI :
la difficulté est la même quelque soit la focale. Quant à votre dernière assertion, la
marge de manoeuvre moins grande pour les longues focales, elle n'est
moins grande qu'en raison de la profondeur de champ plus restreinte offerte par ce type d'objectif, qui pardonne moins une erreur de mise au point - d'autant plus facile à commettre si le grandissement du viseur est de x 0,58 -, mais elle n'est pas
moins grande en théorie.
Juan Carlos a écrit :
Après avoir lu attentivement le fil, j’en déduis que le meilleur viseur est celui du M3, ou celui du M6 (0,85). Le cadre du 50mm me semble plus confortable, et pour ceux qui utilisent les g. angles, le viseur externe est sans doute (pour moi) la solution la mieux adaptée. Je ne parle que de confort d'utilisation, pour ce qui est de la qualité de fabrication, le viseur du M2 est au top niveau !
Juan Carlos, vous confirmez mon opinion : le meilleur viseur demeure celui de l'ancêtre, le Leica M3 ; un viseur externe adéquat, dans certains cas, se révèle une pure merveille (en dépit de l'abandon de la correction automatique de la parallaxe que son adoption entraîne) ; quant au viseur du Leica M2, c'est un chef d'oeuvre inégalé, d'autant plus agréable qu'il n'est pas encombré de cadres surnuméraires
!
A propos du cadrage, eh bien les opticiens de Wetzlar se sont bien rendu compte du problème lié à la longue focale de 135 mm (
à l'intention d'Alain Besançon) : seul le Leica M3 convenait, mais obligation d'avoir recours à un viseur externe pour utilisation avec le Leica M2 (superbe viseur n° 12030), extrême petitesse du cadre du Leica M4 (et des modèles ultérieurs) : les opticiens de Wetzlar résolurent ce problème en concevant le monstrueux Elmarit f:2,8/135 mm équipé d'un correcteur de viseur-télémètre, ensemble divergent (de coefficient multiplicateur x 1,4) faisant apparaître l'image dans le cadre du 90 mm. Cet Elmarit a été fabriqué de 1963 à... 1997, il demeure tout à fait opérationnel sur les boîtiers "M" actuels ; il a été discontinué, probablement pour des raisons de coût de fabrication et de faible demande. Il est vrai que si le Leica a été conçu, dès l'origine, pour être universel, sa vocation première demeure le 50 mm et les objectifs grands angulaires, vocation qui rejoint son esthétique hors du commun et ses incomparables maniabilité et discrétion.
Quant à la "loupe x 1,25" adaptable à l'oculaire du viseur, je ne me prononce pas car je ne l'ai jamais expérimentée, mais des membres de "Summilux" en disent le plus grand bien. Cette loupe constitue en quelque sorte un peu le modeste succédané du correcteur de viseur-télémètre précité, permettant d'agrandir l'image et d'obtenir ainsi une meilleure précision, de mieux en discerner les détails... Toutefois, étant personnellement utilisateur de Leica "M" anciens mais connaissant néanmoins le matériel actuel, je contemple de façon un peu dubitative cette possibilité de choix offerte entre trois viseurs ainsi que son corollaire, la loupe x 1,25 essentiellement destinée à secourir les possesseurs de boîtier "0,58"... J'estime que l'apogée fut atteint d'emblée en 1954 avec le prodigieux viseur-télémètre du Leica M3, sublimé quatre ans plus tard par celui du Leica M2 qui offre la vision idéale de la focale de 35 mm, si bien adaptée au Leica et qui fit tant ses preuves en reportage. J'affirme aussi qu'un excellent viseur externe, c'est vraiment très bien lorsque le viseur multifocal (en l'occurrence trifocal) ne convient pas. J'estime donc que tout a été inventé dans ce domaine dès les années 50 : image de visée absolument splendide, brillante et limpide comme l'eau d'un torrent de montagne, en outre dépourvue du fameux "flare" (d'apparition curieusement assez récente, qui serait enfin éradiqué du viseur du MP)... Tiens, et ce viseur x 0,72 ? Eh bien, son grandissement est celui du Leica M2...
Je vous remercie d'avoir lu ce "post" jusqu'au bout et espère qu'il aura éclairci certaines notions assez complexes... Bien cordialement,
Jean D.