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La cuve Rondinax 35 par Jean D.

Boîte de Rondinax 35
Traduction du sous-titre allemand imprimé sur cette jolie boîte en carton : « cuve de développement à la lumière du jour ».

De la chambre noire au grand jour…
Souhaitant que la chaîne du "procédé Leica" soit complète, Leitz a produit une quantité de matériel de laboratoire : notamment diverses cuves destinées à développer les films…
Citons tout d’abord l’étonnant tambour (code FIMAN), apparu avec le Leica dès 1925 : un cylindre de verre dont l’axe horizontal, terminé par une manivelle, est soutenu par un bâti métallique au dessus d’une cuvette rectangulaire également en verre. En chambre noire, le film doit être enroulé sur le cylindre selon une hélice plate (émulsion vers l’extérieur), puis celui-ci est mis en rotation par la manivelle et effleure la surface du révélateur, du bain d’arrêt et du fixateur… Le film n’est donc pas immergé en permanence ; ce principe sera repris par la cuve Rondinax 35 !
Leitz proposa en 1929 la cuve Correx en métal nickelé (code CORDO), qui doit être chargée en chambre noire ; le film n’est pas enroulé sur une spire, mais le long d’une bande gaufrée qui permet la circulation des liquides successifs ; aucun entonnoir n’étant prévu dans le couvercle, le développement s’effectue dans l’obscurité (tout au moins pour transvaser ces liquides). A partir de 1931, la cuve Correx fut fabriquée en ténacite (matière plastique de l’époque ressemblant à la bakélite), munie d’un axe permettant l’agitation par rotation et pourvue d’un couvercle ménageant un entonnoir central : les liquides peuvent donc être introduits et vidés à la lumière.
Deux innovations surviennent en 1938 : une cuve possédant une spire plus pratique que la bande gaufrée (code DEFOO) et surtout la première cuve permettant le chargement du film en plein jour (code TAHOO), qui n’eut qu’une brève durée de production (il s’agit en quelque sorte d’une cuve Rondinax 35 qui serait horizontale).

Cuve Leitz Rondinax 35
Cuve Agfa Rondinax 35 U
Cuves Leitz Rondinax 35 et Agfa Rondinax 35 U (premier et deuxième modèles).
Remarquer, sur la notice, l’ancien logo de Leitz "aux lentilles stylisées" (il s’agit du schéma d’un condenseur de microscope).

La cuve Rondinax 35 apparut en 1949 (code TEOOH), apparemment en partenariat avec Agfa ; la production par Leitz semble avoir cessé en 1954 (la filiale new-yorkaise la poursuivit jusqu’en 1961), mais Agfa continua la fabrication jusque vers le début des années 80 semble-t-il. A cette époque, cette cuve valait environ quatre fois plus cher que les autres, mais la différence était justifiée (la cuve Agfa Rondinax 35 U illustrée ci-dessus à droite valait 118 francs vers 1970) ; cette merveille ne se fabrique donc plus mais se déniche facilement, notamment sur eBay
Ces deux cuves de 1938, ainsi que les cuves Leitz Rondinax 35 et Agfa Rondinax 35 U (premier modèle) paraissent en bakélite ; le deuxième modèle de la cuve Agfa Rondinax 35 U semble en une matière différente (un plastique de haute qualité).

Cuve Leitz Rondinax 35
Cuve Agfa Rondinax 35 U
Cuves Leitz Rondinax 35 et Agfa Rondinax 35 U (premier modèle). Remarquer l’entonnoir rectangulaire et le bec-verseur, le bouton d’ouverture de chargeur, le gros bouton moleté (permettant la rotation de la spire), le "compteur" et le thermomètre.

Description de la cuve Rondinax 35
Cette cuve est vraiment originale et ingénieuse, très différente des cuves traditionnelles. Son intérêt majeur est de permettre le chargement du film en plein jour, éliminant ainsi la principale cause d’ennuis pouvant survenir lors du développement : qui - se croyant dans le noir absolu - n’a jamais discerné avec inquiétude un rai de lumière passant sous la porte une fois que ses yeux furent habitués à l’obscurité, ou n’a perdu au sol un accessoire qu’il dut retrouver à tâtons alors que le film ne demandait qu’à s’enrouler en vrille, ou encore (la sueur au front) n’a éprouvé le blocage inexplicable d’une spire récalcitrante ?
Le seul reproche que l’on pourrait formuler est que la cuve Rondinax 35 ne permet de développer qu’un film à la fois (comme d’ailleurs les cuves traditionnelles non "à étages").
Schématiquement, la Rondinax 35 se compose de deux compartiments (assemblés par trois vis) et d’un couvercle commun pourvu d’une dépression rectangulaire ménageant, avec le contour du grand compartiment, un "entonnoir bec-verseur" efficace ; l’ensemble est étanche à la lumière car le couvercle s’engage dans une chicane. Le petit compartiment reçoit la cartouche de film, ou différents chargeurs (dont bien sûr le chargeur Leitz) qui peuvent être ouverts par la rotation d’un bouton latéral. La spire réceptrice est logée verticalement dans le grand compartiment et est actionnée en rotation par un gros bouton moleté prolongeant son axe (l’étanchéité du deuxième modèle de la cuve Agfa Rondinax 35 U est devenue irréprochable par l’adjonction d’un joint torique qui enserre l’axe de ce bouton, remplaçant le joint plat extérieur des modèles précédents) ; d’abord opaque, cette spire est devenue transparente afin de permettre l’insolation du film "à la lampe" dans le cas de développement de diapositives ; une bande souple (en caoutchouc puis en rhodoïd) terminée par une pince métallique est attachée au milieu de l’axe de la spire.

Cuve ouverte

Les différentes pièces constituant une cuve Leitz Rondinax 35. Remarquer les deux compartiments jumelés (noter la trace grise du joint plat extérieur), la spire opaque (noter le carré d’entraînement) et sa bande souple terminée par une pince, le couvercle, le guide, le gros bouton moleté et sa vis de fixation en bout d’axe de la spire.

Trois autres pièces complètent cette description :

  • Un guide mobile qui, incurvant temporairement le film à son passage lors du chargement, l’oblige à s’insérer de part et d’autre dans les deux rails ménagés sur les faces internes des joues de la spire (chaque rail décrit une spirale) ; le guide possède un index coaxial servant de compteur rudimentaire (très approximatif, c’est plutôt une jauge de la longueur de film déjà enroulée et surtout un témoin de bon enroulement).
  • Un couteau vertical comportant quatre dents de scie, permettant de trancher le film à ras des lèvres de la cartouche en fin d’enroulement.
  • Un thermomètre coudé, inamovible, permettant de surveiller la température en continu (tester l’étanchéité de son joint en caoutchouc, qui peut se racornir avec le temps).

Chargement du film en pleine lumière !
Voici la suite des opérations…

  • Après la prise de vue, attention à ne pas rembobiner à fond le film car il faut laisser dépasser l'amorce. Avec un Leica antérieur au M4, aucun problème car l'amorce demeure évidemment attachée sous la languette de la bobine réceptrice. A partir du Leica M4 (ou avec tout autre appareil), il faut bien prêter attention en fin de rembobinage en collant l'oreille au dos du boîtier : on entend un léger "clic" quand l'amorce se détache de la bobine réceptrice (aucune hésitation avec un peu de pratique) et simultanément le mouvement de rotation transmet moins de friction.
  • Découper soigneusement l’amorce du film entre deux perforations en ménageant un "arrondi" (pour supprimer l'angle vif qui pourrait "accrocher" pendant l'enroulement sur la spire).

    Découpe

  • Ouvrir le couvercle, solidariser le gros bouton moleté de l’axe de la spire au moyen de la vis et s’assurer que le guide est en place.
  • Placer la cartouche de film dans le petit compartiment et enfoncer l’axe chromé.
  • Glisser le milieu de l’amorce entre les mors de la pince terminant la bande souple de la spire, de façon bien symétrique, et presser fortement sur ces mors afin qu’ils perforent l’amorce.
  • Tourner lentement le gros bouton moleté dans le sens de la flèche (celui des aiguilles d’une montre) afin de résorber le "mou" de la bande souple.
    Guide
    Un point important : le "tuilage" correct du film s’engageant dans le guide.

  • Continuer à tourner lentement ce bouton et normalement l’amorce va venir s’engager dans le guide en se "tuilant" vers le bas (surveiller particulièrement les deux courbures latérales, obliger l'angle de l'amorce qui se serait anormalement relevé vers le haut à se courber vers le bas en appuyant dessus au moyen d'un petit objet effilé).
  • Fermer le couvercle.
  • Continuer à tourner lentement le gros bouton moleté afin d’enrouler la totalité du film, que le guide oblige à s’insérer entre les deux rails spiralés (où le "tuilage" s’aplanit), vérifier que l’index du compteur se relève peu à peu.
  • En fin d’enroulement le bouton se bloque, car le film est tendu et demeure attaché à l’axe de la cartouche : ne pas forcer !
  • Actionner le couteau vertical afin de couper le film (l’effort à exercer est important parce que les quatre dents de scie doivent percer le film avant de le trancher).

Le développement
Les liquides successifs (révélateur, bain d’arrêt et fixateur), d’un volume réduit (200 centimètres cube), seront versés et vidés par le petit entonnoir rectangulaire à bec verseur ; pour vider, procéder à plusieurs reprises (incliner encore deux ou trois fois après la première vidange) car tout le liquide ne se déverse pas la première fois (il en stagne un peu entre les tours de film). Vérifier la température pendant le développement, et compenser un éventuel écart en jouant sur le temps…
Une étonnante particularité de la cuve Rondinax 35, liée à l’orientation verticale de la spire, est que le film n’est pas immergé en permanence (le niveau parvient juste sous l’axe). Pour cette raison, il faut tourner le gros bouton moleté assez souvent par à-coups, afin que le film demeure en permanence imprégné de révélateur (c’est-à-dire, à un instant donné : soit immergé, soit ruisselant) et ne reste jamais trop longtemps à l’air libre. Cette rotation par à-coups, préconisée par la notice et facile à assurer, correspond à une agitation équivalente à celle des cuves traditionnelles (par retournement périodique ou par rotation produite par un axe introduit, selon les modèles) : c’est pour cette raison que le temps de développement demeure le même avec une cuve Rondinax 35 qu’avec une cuve traditionnelle, c’est-à-dire celui indiqué sur la notice du révélateur. Il faut évidemment respecter une certaine cadence d’à-coups, sinon le film ne serait pas correctement développé (il serait sur-développé en cas de rotation trop rapide, et inversement), de même qu’il faut respecter une certaine périodicité d’agitation avec une cuve traditionnelle. La notice de la cuve Rondinax 35 n’est pas très précise ; l’expérience montre qu’imprimer au gros bouton moleté un à-coup d’environ un quart de tour toutes les 5 secondes procure un bon résultat (cette cadence élevée compense le fait que le film n’est pas immergé en permanence dans le révélateur).

Boîte de Rondinax 35

Après le fixage, vider le fixateur, ouvrir le couvercle et effectuer un premier rinçage en versant de l’eau dans la cuve elle-même, en tournant le gros bouton moleté en continu (attention à ne pas introduire d’eau entre les deux compartiments) ; extraire ensuite la spire et continuer le lavage dans une petite cuvette d’eau souvent renouvelée. La spire pourra servir de lest pendant le séchage.
Séchage

Précaution lors du rangement de la cuve Agfa Rondinax 35 U (deuxième modèle) : ne pas l’entreposer en laissant le gros bouton moleté en place, car le joint torique qui assure l'étanchéité de son axe serait comprimé en permanence et cela finirait par fuir : il est possible de ranger ce bouton à l'intérieur de la cuve elle-même.

La cuve Agfa Rondix

RondixRondix

Cuve Agfa Rondix. Un chaleureux merci à Rico pour ces deux illustrations !

Pour être exhaustif dans ce domaine, il faut mentionner cette curiosité permettant également le chargement et le développement du film en plein jour… C’était probablement dans les années 60 la "Rondinax du pauvre" ; cette cuve ne paraît pas avoir été très répandue. Le film est enroulé librement à l’intérieur du grand compartiment, un peu "en vrac", constituant une spire lâche, et demeure attaché à l’axe de la cartouche (il n’y a pas de couteau, ni d’ailleurs de thermomètre). Le film est en permanence immergé, contrairement à la conception de la Rondinax 35. Pendant les différentes étapes du développement, la manivelle doit être tournée alternativement dans un sens, puis dans l’autre, et ainsi de suite : ce mouvement brasse le liquide et évite que le film ne se colle sur lui-même. Ce système ne semble pas très sûr par rapport à celui, plus élaboré, de la cuve Rondinax…

La cuve Agfa Rondinax 60
Certes hors sujet sur ce site, signalons cependant que ce modèle permet le chargement et le développement en plein jour du film 120 !

Peut-on utiliser une cuve Rondinax 35 au vingt-et-unième siècle ?
Bien sûr : de nombreux exemples montrent que le matériel Leitz défie le temps... Le confort et la sécurité d'utilisation de la Rondinax 35 sont tels qu'il serait dommage de s’en priver !
Préférer le modèle le plus “récent” (le deuxième de l’Agfa Rondinax 35 U), en raison de l’étanchéité apportée par le joint torique, mais une cuve Leitz ayant dépassé le demi-siècle demeure opérationnelle !
Veiller au bon état de la cuve, résistante et rarement fendue ; une fuite au niveau du thermomètre (due au vieillissement du joint en caoutchouc) n’est pas grave et peut se réparer facilement.
En conclusion la cuve Rondinax 35, sûre et pratique car elle permet de charger le film en plein jour, de conception aussi originale qu’ingénieuse, demeure utilisable en dépit de son âge !

Notice
Vous pouvez télécharger la notice (PDF - 2,2 Mo)

Annexe : quelques règles et principes de base régissant le bon développement d'un film N&B…

  • Respecter soin, propreté, ordre et méthode.
  • Essayer d’opérer à la température de 20° C jusqu’au lavage et éviter les chocs thermiques.
  • Suivre la notice du révélateur et du fixateur ! Il est généralement inutile d’utiliser de l’eau distillée pour préparer ces liquides, mais évidemment cela ne peut faire de mal…
  • Rattraper une éventuelle dérive de la température de développement en réduisant ou en augmentant un peu le temps, selon l’abaque mentionnée dans la notice du révélateur (il est également possible de modifier l’agitation, mais plus aisé de jouer sur le temps).
  • Avoir recours à un bain d'arrêt (acide acétique très dilué, une bonne minute, le temps exact n’a guère d’importance) ; à défaut, utiliser de l’eau. Dans la pratique, le dosage précis de l'acide dans le bain d'arrêt n'ayant guère d'importance, il suffit de verser un tout petit peu d'acide acétique dans une petite cuvette d'eau, d'agiter et de goûter "au doigt" : dès que ça picote un peu la langue, c'est bon ! Il s'agit d'un acide faible : il n'y a aucun danger à procéder ainsi, en prenant simplement une certaine précaution en versant.
  • Une astuce pour vérifier que le fixateur n’est pas périmé : tremper dedans un petit morceau d’amorce de film récupéré, qui doit s’éclaircir totalement assez rapidement (environ en une minute).
  • Après le fixage, laver à fond le film en le laissant sur sa spire tremper dans une petite cuvette  pendant une bonne demie-heure (pas forcément à l’eau courante mais plutôt en renouvelant souvent l’eau de la cuvette, ce qui est aussi efficace et limite le gaspillage).
  • Après le lavage, immerger le film (demeurant toujours sur sa spire) dans une petite cuvette contenant un dernier bain : de l’eau additionnée de quelques gouttes d’agent mouillant (ne pas en abuser, cela doit simplement mousser un peu lorsque l’on agite). Il est également inutile d’utiliser de l’eau distillée pour ce dernier bain, sauf peut-être si l’eau du robinet est vraiment très calcaire...
  • Pour le séchage, suspendre le film dans un endroit calme, tiède si possible, à l’abri de la poussière et des courants d’air pouvant en transporter. Il existe des pinces d’accrochage et de lest, très pratiques (la spire de la cuve Rondinax 35 peut servir de lest).
  • Laisser ruisseler l’eau, qui s’écoule d’autant mieux qu’elle contient de l’agent mouillant (c’est son rôle) ; laisser faire la nature et ne pas utiliser de pince essoreuse, les quelques gouttes résiduelles disparaîtront d’elles mêmes par évaporation…
  • Le séchage du film est généralement beaucoup plus rapide que l’on ne pense (sauf évidemment en cas d’atmosphère humide) : voir prudemment où cela en est, au bout d’une heure par exemple (aspect, "toucher" de l’amorce).
  • Dès que le film est sec, le découper précautionneusement en bandes de six vues au moyen de ciseaux très fins, glisser soigneusement chaque bande dans une feuille de classeur pour négatifs en papier "cristal" ou "cellophane", en la tenant uniquement par les bords ; juste avant, faire éventuellement "bâiller" un peu la glissière de la feuille au moyen d’une bande de carton.

Mars 2007