Tournage du film Na WEWE au Burundi

Phil VDD
    Tournage du film Na WEWE au Burundi
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Vieux briscard
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Arquennes
Bonjour à vous.
Mon métier de preneur de sons me bouscule souvent et m'envoie travailler loin de chez moi et au contact de mondes inconnus.

Pour la première fois j'ai passé l'Equateur et me suis retrouvé pour une bonne dizaine de jours à Bujumbura, au Burundi.

Pas question de tourisme donc, et si il n'y avait pas eu la dernière journée et l'avion qui décolle le soir, je n'aurais rien vu d'autre que les décors du film et les routes de et vers mon logement. J'ai atterri à Bruxelles ce matin.

Le film que nous avons réalisé se passe en 1994, pendant une période de guerre où les Hutu exterminaient les Tutsi.

Le film est basé sur une histoire vraie qui est celle de son auteur, devenu aveugle suite à un tir à bout portant. Sa vie a basculé et des années plus tard il a porté ce projet qui s'inscrit dans un esprit de pardon, de paix.

Je ne dois pas dévoiler l'histoire mais disons qu'il s'agit d'une embuscade d'un minibus, menée par des rebelles Hutu qui cherchent à éliminer les Tutsi.
Au cours des interrogatoires apparaît une réflexion à propos de la vanité de vouloir une race pure. Le thème est traité avec humour mais sans légèreté.

Notre projet a été aidé par de nombreuses institutions et notamment l'Unesco.

Il s'agissait aussi d'un projet de professionnalisation du secteur cinématographique au Burundi. Une formation a été organisé autour des métiers du cinéma et j'ai eu la chance de partager des connaissances avec un preneur de son burundais qui m'a accompagné durant ces 9 journées de tournage.

Il manque énormément de moyens techniques dans ce pays qui est un des plus pauvres du monde et où les gens sont généreux, dignes et beaux.
Nous avons reçu beaucoup lors de moments de joie partagée où les guitares, les voix et les tambours se sont mêlés.
Je vous livrerai des nouvelles fraîches au fur et à mesure.

Des tirages et une exposition prolongeront ce travail, vraisemblablement à l'occasion de la présentation du film qui sera un court métrage.

Voici d'abord quelques photos des gens qui vivaient autour de notre lieu de tournage. J'ai choisi celles en noir et blanc.


1

Les enfants travaillent quasiment dès qu'ils savent marcher et transporter quelque chose.
L'économie est surtout basée sur l'agriculture (Il y a beaucoup de produits. Fruits, légumes excellents et "bio", et pour cause: ils n'ont pas de quoi se payer l'essentiel alors, pas question de produits phyto...).
C'est cultivé à la sueur et à l'huile de bras.

La cuisine est simple et assez grasse.
Les familles comptent beaucoup d'enfants.


2

Toute cette marmaille court pieds nus et ils n'ont apparemment qu'un "habit", le même toute l'année et pour lequel le problème de la marque de lessive ne se pose même pas.
On est frappé par la pauvreté et de la dureté de leur existence si on la compare à notre société de sur-consommation.
Une famille (10 personnes) n'a pas 5 dollars par jour pour vivre. Nous faisions figure de milliardaires. Nous avons posé quelques actes concrets qui vont aider un de nos petits enfants-acteurs à faire des études. Il est le plus intelligent et premier de classe et il ne manquera pas de moyens pour acheter les cahiers et les livres...


3

Les jeunes filles sont rieuses et regardaient les "muzungu" que nous sommes avec des yeux de naturalistes. Contrairement aux apparences il ne s'agit pas d'un collier de perles mais d'un chapelet en plastique...


4

J'ai été gratifié de tas de sourires "craquants" car ils avaient l'occasion de voir mes images sur l'écran de l'appareil et ce jeu grâce à la photo numérique permet de pratiquer le portrait dans un cadre plus interactif.


5

C'est un t-shirt "Bob L'éponge"... Mais ce garçon ne sait probablement pas que la télé existe, ou alors il n'en a jamais vu.


6

Un midi, on cherchait à savoir qui avait travaillé pour le film parmi les gens qui se groupaient autour de nous. Certains étaient chargés de veiller au silence dans les collines ou à éviter que des gens passent dans les arrière-plans. On appelle ça le "blocage". Ils étaient sensés n'être que douze qui recevraient à manger mais ils étaient deux fois plus... Le décompte était quasi impossible...

A suivre, si vous voulez.
"Toute photographie est une fiction qui se prétend véritable. (...) la photographie ment toujours, elle ment par instinct, elle ment parce que sa nature ne lui permet pas de faire autre chose." Joan Fontcuberta
Liv
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Toulouse
Merci Phil, pour ma part, j'attends la suite avec impatience !
+ d'images ?
C'est par là...
Bouboudialo
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Vieux briscard
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Yvelines
Vite la suite,
Tes photos ainsi que les commentaires qui les accompagnent m'ont "serrés le Kikis" comme on dit!
:applaudir:
Quelquefois je m'assois et je pense,
Quelquefois je m'assois.
(J.Prévert)
Phil VDD
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Vieux briscard
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Arquennes
Merci "Liv".

Il y a un orage très violent au dessus de Bruxelles en ce moment et le bruit des sirènes des pompiers et des ambulances se partage l'ambiance sonore avec le tonnerre.

J'étais au Burundi à la saison sèche. J'ai mangé les bananes et les avocats les plus savoureux. J'ai aussi rapporté du café "Arabica" burundais qui est paraît-il le meilleur du monde!

Voici encore des photos de l'environnement humain de notre tournage. en couleurs cette fois.


8

"Bob L'Eponge"...


9

Un jeu d'enfant.


10

La demoiselle au chapelet.


11

Un de mes collègues avait effarouché cette dame et l'enfant avec un Nikon.
Avant de partir j'ai acheté un 90mm que j'ai utilisé ici pour prendre la photo à distance avec des éléments qui faisaient partiellement volet, sauf sur le côté droit où j'ai utilisé Lightroom pour refermer le cadre dans le même esprit. Rester à distance n'est pas habituel pour moi mais j'ai testé. La longue focale m'a permis de faire des images qui ressemblent à celles du film qu'on était en train de tourner. Vous les découvrirez plus loin. Mais avec un télémétrique c'est "spécial"...


12

Une image de la vie courante.


13

Tout comme celle-là.


14

L'auteur du film: Jean-Luc, qui a perdu la vue et dont le film raconte l'histoire.
C'était très touchant de l'avoir sur le plateau et de lui raconter ce qu'on faisait.
Il parle ici avec son fils.

Jean-Luc pratiquait la photographie avant de basculer dans le monde obscur. Il a eu l'idée de traduire ses sensations sous forme de "Haïku", qui sont comme des photographies composées à partir de mots qui portent des images. Il les puise dans ses souvenirs.

En voici un extrait:


15

Sa Kalach détruit
Son coeur brisé joue et danse
Petit t'as quel âge




16

A gauche la vie
Au centre est la survie
A droite la nuit





17

Né en absurdie
Coupable d'être innocent
Un enfant attend


Copyright J-L Penning
"Toute photographie est une fiction qui se prétend véritable. (...) la photographie ment toujours, elle ment par instinct, elle ment parce que sa nature ne lui permet pas de faire autre chose." Joan Fontcuberta
BONIN
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C"est toujours un émerveillement de voir tes images de tournage et là en plus, au Burundi :wink: Un message rapide pour te complimenter et je retourne à tes photos :wink:
instagram.com/bo.henri
caramanian
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paris
Ce "temoignage" photo est très très beau, et au moins aussi poignant, bravo et merci de partager ca avec nous PhilVDD...
Ca fait un rayon de soleil pendant les vacances...
kriekmarc
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Paris
Très beau reportage (comme d'hab sur tes tournages! ) beaucoup de tres belles expressions!
Phil VDD
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Vieux briscard
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Depuis le 3 sep 2007
Arquennes
Merci pour votre intérêt.
Le reportage est loin d'être terminé!

Voici en six images, un portrait du réalisateur, Ivan Goldsmidt au travail.


18

Il se tient devant un écran vidéo pendant les prises de vues et parfois il visionne ce qui a été tourné. Ca attire la curiosité.



19

Il y avait beaucoup de comédiens à diriger et parfois ça peut ressembler à du drill.


20


21

Il mime les situations...


22

Donne le ton...


23

Est captivé... tandis que les comédiennes s'amusent avec le photographe!
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blanc_et_noir
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De très belles images. Bravo et merci. :D :applaudir:
Phil VDD
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Vieux briscard
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Arquennes
Nous avions parmi les comédiennes, une charmante demoiselle qui est aussi une chanteuse de talent et qui se prénomme Vanessa.
Je suis fasciné par la beauté de cette peau noire et je me suis laissé aller à quelques portraits, délaissant l'aspect documentaire de la photo de plateau pour profiter un peu de l'esthétique.


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L'équipement que j'avais emmené est: Un leica M8, un objectif Zeiss Distagon 4/18, un Summilux-M 35 mm f/1,4 Asph, un Summilux-M 50 mm f/1,4 (1964) et un Tele-Elmarit 90 mm f/2,8 (1964), avec des filtres UV/IR sur toutes les optiques.
J'ai regretté par moments de ne pas avoir pris de filtres polarisants pour augmenter le velouté des peaux.
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invite9

Message supprimé à la demande de son auteur.
Darnell
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Paname
idem, ca fait plaisir de voir un sujet bien traité, avec de beaux portraits. :applaudir:
Nikoviet
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Blois
Un grand merci à toi Phil VDD pour ce reportage et les commentaires qui les accompagnent. Les enfants photographiés sont magnifiques et tes explications sur leur condition de vie nous prouve encore une fois de l'absurdité (pour rester polie) de cette mondialisation censée redistribuer ses richesses! Pour ceux qui ne savent pas ce qu'est la photo humaniste, je pense que tu en es un exemple modeste mais vraiment génial. Merci :wink:
"Il y a tant d’aurores qui n’ont pas encore lui." Rig Véda
Phil VDD
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Vieux briscard
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Depuis le 3 sep 2007
Arquennes
Vous me réchauffez le coeur avec vos commentaires sympathiques.
Merci d'avoir pris le temps de parcourir ce long reportage!

Voici maintenant une série de photos de plateau "pures", c'est à dire qu'il s'agit de photos prises pendant que les comédiens jouent.

Je profitais des répétitions car pendant les prises de vues, je travaille à la prise de son :)

Mes choix de focales et d'angles ne correspondent pas forcément à ceux qui ont été faits pour la caméra, mais ces images fixes décrivent assez bien l'ambiance du film.


30

Ces armes sont omniprésentes au Burundi et il y a des policiers partout.
Notre transport de matériel et les déplacements tôt le matin et le soir étaient escortés. C'est la police qui a prêté l'arsenal qui a été utilisé par les acteurs. Lors de la livraison, on a tout vérifié et certains chargeurs contenaient encore des balles...


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Ici aussi, il s'agit de vraies balles. Certains parmi ceux qui jouaient les rebelles ont été vraiment enfants soldats et ont un passé assez chargé. La guerre n'est pas finie depuis longtemps. La pacification est une entreprise prioritaire mais ici comme au Cambodge, victimes et bourreaux se reconnaissent et se recroisent...


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Les barrages organisés par les rebelles donnaient lieu à des pillages. L'intensité de certaines scènes que nous avons tournées ont réveillé des souvenirs chez les comédiens "victimes", qui se sont presque tous mis à pleurer et il est devenu difficile de reprendre le fil du travail. Nous étions sur le site de certains massacres et les soldats interprétaient leur rôle avec beaucoup de réalisme.




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Cet enfant est un Tutsi et il devrait être tué mais il réussit à se sauver en profitant d'un moment de distraction chez les attaquants.


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Pour la plupart des acteurs c'était leur première expérience et ils ont reçu une formation de deux semaines, organisée à l'occasion de notre venue au Burundi.


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Nous avions un acteur professionnel: le belge Renaud Rutten, qui m'a étonné par la qualité de son jeu. Il a une mémoire impressionnante et en très peu de temps il a appris une chanson en Kirundi. Phonétiquement mais ce n'était vraiment pas simple. Ca a donné lieu à des moments de complicité entre le "blanc" et les autres acteurs.

Pour ceux que ça intéresse, j'ai capté 4 minutes de l'ambiance sonore sur le plateau, juste avant de commencer le travail les "soldats" nous faisaient un petit échauffement.

On peut écouter ces chants ici:

http://drop.io/nawewe10

C'est brut, juste sorti de l'enregistreur.

A propos de l'histoire de Jean-Luc, on peut lire le récit de son "aventure" dans ce magazine: http://www.mil.be/vox/subject/index.asp?LAN=fr&ID=506&MENU=626&PAGE=11
"Toute photographie est une fiction qui se prétend véritable. (...) la photographie ment toujours, elle ment par instinct, elle ment parce que sa nature ne lui permet pas de faire autre chose." Joan Fontcuberta
Nikoviet
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Depuis le 7 juin 2008
Blois
Impressionnant de réalisme! La 30, 32, 33 et 41 sont excellentes.
Dis-moi Phil avec tes reportages, ce n'est plus la peine d'aller au cinéma, c'est comme si on y était :lol: :lol:
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