dossier 13 - Bury me not
Posté: samedi 8 octobre 2016 - 17:45Bury me not
(Ne m'enterrez pas)
Bure est un petit village français isolé de 82 habitants, situé à la lisière de la Meuse et de la Haute-Marne. C'est désormais ici que se joue l'avenir du nucléaire hexagonal et celui de la lutte "anti-nuke". Dans les dix prochaines années, les déchets nucléaires qui concentrent 99% de la radioactivité, commenceront à être enterrés ici, à 500 mètres sous terre. Pour des centaines de milliers d'années.
Dénommé CIGEO (Centre industriel de stockage géologique), c'est le projet du siècle, l'héritage d'une politique du tout nucléaire dont les chiffres insensés donnent la mesure de l'ampleur : plus de 80 000m3 de déchets, 300 km de galeries souterraines, un chantier pharaonique qui s'étalera sur 130 ans et au budget estimé à plus de 25 milliards d'euros.
Ensemble, activistes français et Européens essayent d'empêcher la construction de ce tombeau radioactif. Ce travail photographique suit leur lutte.
1. Bure a été choisi en 1998 pour accueillir les déchets nucléaires ultimes en raison de son contexte géologique favorable au projet de l'Andra, l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. La région est une des plus faiblement peuplée de France et "l'acceptabilité sociale" du projet est également une donnée importante de l'équation. Les premiers colis devraient arriver sur place après 2025.
2. Des opposants se cachent des forces de l'ordre pendant une manifestation en juillet 2016. La lutte contre le projet CIGEO existe depuis une vingtaine d'années, mais depuis plusieurs mois la tension a monté graduellement.
3. Des militants étudient une carte de la zone pour préparer une action. Au cours d'une promenade en forêt en juin 2016, ils découvrent que l'Andra a défriché une partie d'un bois communal, dit bois Lejuc, situé à quelques kilomètres de Bure. C'est dans cette zone que devront être installées les cheminées d’aération des kilomètres de galeries souterraines du projet.
4. Jean-Paul Baillet (à dr.), directeur adjoint de l'ANDRA et directeur du laboratoire de Bure. Les opposants dénoncent le manque de transparence et de concertation avec la population locale. En 2013, le débat public avait tourné court à la suite de nombreux heurts, et c'était finalement poursuivi via une consultation sur internet.
5. Il faut 7 minutes pour descendre dans les galeries souterraines du laboratoire de Bure, situé à 500 mètres sous terre et terminé en 2006. En janvier dernier, un technicien d'Eiffage qui y effectuait des relevés géophysiques est décédé à cause d’un éboulement. Un accident mortel a également eu lieu en 2002 sur le site.
6. Cagoulé par volonté d'anonymat, un opposant transporte une croix qui servira à la construction d'une vigie pour surveiller un champ convoité par l'Andra.
7. Lecture de textes autour du feu. En réponse à la découverte des travaux dans le bois Lejuc, un camp autogéré a été créé dans la forêt pour freiner l'avancée de l'Andra. Entre 20 et 50 personnes sont sur les lieux. Sur les réseaux sociaux, le mot d'ordre est alors "#Occupylameuse".
8. L'occupation durera plusieurs semaines, mais les opposants seront finalement violemment expulsés à l'aube début juillet par les forces de l'ordre. Le camp sera détruit, une bétaillère et toutes les affaires personnelles saisies.
9. Les opposants fuient lors de l'expulsion du bois Lejuc, cernés par les gaz lacrymogènes. C'est avec l'aide d'habitants qu'ils parviendront à s'échapper. Ce jour, un militant sera arrêté puis condamné à 6 mois de prison avec sursis, une amende et une interdiction de pénétrer dans le département de la Meuse pendant deux ans.
10. Un appel à une manifestation de réoccupation est lancé quelques semaines plus tard. Des centaines de militants répondent présents, en provenance de toute la France, mais aussi d'Allemagne, de Belgique et même de Finlande, où un projet d'enfouissement similaire a été approuvé fin 2015. La plupart des Français ont déjà participé à d'autres actions de contestations, comme la lutte contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le projet d'un Center Parc à Roybon ou celui du barrage de Sivens.
11. Les forces de police, incapable de surveiller toute la lisière du bois, ne parviennent pas à repousser les militants qui s'introduisent rapidement dans la forêt. Certains seront blessés par les vigiles employés par l'Andra pour surveiller les travaux. L'occupation durera plusieurs jours, émaillée de nombreux affrontements.
12. "Flo", de son surnom, se repose à la "maison de la résistance à la poubelle nucléaire de Bure" après une manifestation. Cet ancien corps de ferme réhabilité accueille et informe les opposants comme les curieux. Un dortoir et un potager ont été créés, une éolienne et des toilettes sèches installées.
13. Un "Anonymous" regarde le cortège d'une manifestation organisée dans le cadre de "l'été d'urgence" décrété par les militants à Bure. À l'occasion du week-end prolongé du 15 août, ils étaient des centaines à venir lutter contre le projet d'enfouissement des déchets.
14. Une opposante est "exfiltrée" par ses camarades en passant du côté privé de la voirie : en revenant du bois, elle refusait un contrôle d'identité et avait croisé une patrouille à son arrivée. À ce moment-là, la pression est forte et la gendarmerie passe devant la maison de la résistance plusieurs fois par jour, parfois en filmant ou en photographiant.
15. Le 15 août, les militants - 500 selon les organisateurs, 250 selon la préfecture - détruisent en deux jours plus d'un kilomètre du mur érigé par l'Andra pour protéger les travaux. Contre toute attente, aucune présence policière ni aucun vigile ne sont repérés dans la forêt. Seuls des hélicoptères survolent la zone.
Ce travail a été réalisé entre avril et août 2016 à l'aide d'un Sony A7s, équipé d'une bague Novoflex qui accueille mes deux optiques Leica de prédilection : le 24 Summilux et le 35 Summicron IV.
Démarche : Habitué à réaliser des "photos essays" à l'étranger, je suis tombé en début d'année sur une colonne dans un journal satirique qui évoquait le projet CIGEO. Par curiosité, je suis allé voir la situation sur place, habitant à seulement quelques heures de Bure. L'approche a été difficile, mais j'y suis retourné plusieurs fois et j'ai été frappé par la détermination de ces opposants, l'ampleur du projet et le manque de débat ou d’intérêt dans l'opinion publique et médiatique sur la question. L'hiver approche et je souhaite continuer à documenter leur combat. Il me semble nécessaire de montrer qu'il existe des histoires méconnues en France, mais qui pourtant sont déterminantes et nous concernent tous. En l’occurrence, si le projet CIGEO se réalise, c'est 4000 générations qui le seront.
Merci!
(Ne m'enterrez pas)
Bure est un petit village français isolé de 82 habitants, situé à la lisière de la Meuse et de la Haute-Marne. C'est désormais ici que se joue l'avenir du nucléaire hexagonal et celui de la lutte "anti-nuke". Dans les dix prochaines années, les déchets nucléaires qui concentrent 99% de la radioactivité, commenceront à être enterrés ici, à 500 mètres sous terre. Pour des centaines de milliers d'années.
Dénommé CIGEO (Centre industriel de stockage géologique), c'est le projet du siècle, l'héritage d'une politique du tout nucléaire dont les chiffres insensés donnent la mesure de l'ampleur : plus de 80 000m3 de déchets, 300 km de galeries souterraines, un chantier pharaonique qui s'étalera sur 130 ans et au budget estimé à plus de 25 milliards d'euros.
Ensemble, activistes français et Européens essayent d'empêcher la construction de ce tombeau radioactif. Ce travail photographique suit leur lutte.
1. Bure a été choisi en 1998 pour accueillir les déchets nucléaires ultimes en raison de son contexte géologique favorable au projet de l'Andra, l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. La région est une des plus faiblement peuplée de France et "l'acceptabilité sociale" du projet est également une donnée importante de l'équation. Les premiers colis devraient arriver sur place après 2025.
2. Des opposants se cachent des forces de l'ordre pendant une manifestation en juillet 2016. La lutte contre le projet CIGEO existe depuis une vingtaine d'années, mais depuis plusieurs mois la tension a monté graduellement.
3. Des militants étudient une carte de la zone pour préparer une action. Au cours d'une promenade en forêt en juin 2016, ils découvrent que l'Andra a défriché une partie d'un bois communal, dit bois Lejuc, situé à quelques kilomètres de Bure. C'est dans cette zone que devront être installées les cheminées d’aération des kilomètres de galeries souterraines du projet.
4. Jean-Paul Baillet (à dr.), directeur adjoint de l'ANDRA et directeur du laboratoire de Bure. Les opposants dénoncent le manque de transparence et de concertation avec la population locale. En 2013, le débat public avait tourné court à la suite de nombreux heurts, et c'était finalement poursuivi via une consultation sur internet.
5. Il faut 7 minutes pour descendre dans les galeries souterraines du laboratoire de Bure, situé à 500 mètres sous terre et terminé en 2006. En janvier dernier, un technicien d'Eiffage qui y effectuait des relevés géophysiques est décédé à cause d’un éboulement. Un accident mortel a également eu lieu en 2002 sur le site.
6. Cagoulé par volonté d'anonymat, un opposant transporte une croix qui servira à la construction d'une vigie pour surveiller un champ convoité par l'Andra.
7. Lecture de textes autour du feu. En réponse à la découverte des travaux dans le bois Lejuc, un camp autogéré a été créé dans la forêt pour freiner l'avancée de l'Andra. Entre 20 et 50 personnes sont sur les lieux. Sur les réseaux sociaux, le mot d'ordre est alors "#Occupylameuse".
8. L'occupation durera plusieurs semaines, mais les opposants seront finalement violemment expulsés à l'aube début juillet par les forces de l'ordre. Le camp sera détruit, une bétaillère et toutes les affaires personnelles saisies.
9. Les opposants fuient lors de l'expulsion du bois Lejuc, cernés par les gaz lacrymogènes. C'est avec l'aide d'habitants qu'ils parviendront à s'échapper. Ce jour, un militant sera arrêté puis condamné à 6 mois de prison avec sursis, une amende et une interdiction de pénétrer dans le département de la Meuse pendant deux ans.
10. Un appel à une manifestation de réoccupation est lancé quelques semaines plus tard. Des centaines de militants répondent présents, en provenance de toute la France, mais aussi d'Allemagne, de Belgique et même de Finlande, où un projet d'enfouissement similaire a été approuvé fin 2015. La plupart des Français ont déjà participé à d'autres actions de contestations, comme la lutte contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le projet d'un Center Parc à Roybon ou celui du barrage de Sivens.
11. Les forces de police, incapable de surveiller toute la lisière du bois, ne parviennent pas à repousser les militants qui s'introduisent rapidement dans la forêt. Certains seront blessés par les vigiles employés par l'Andra pour surveiller les travaux. L'occupation durera plusieurs jours, émaillée de nombreux affrontements.
12. "Flo", de son surnom, se repose à la "maison de la résistance à la poubelle nucléaire de Bure" après une manifestation. Cet ancien corps de ferme réhabilité accueille et informe les opposants comme les curieux. Un dortoir et un potager ont été créés, une éolienne et des toilettes sèches installées.
13. Un "Anonymous" regarde le cortège d'une manifestation organisée dans le cadre de "l'été d'urgence" décrété par les militants à Bure. À l'occasion du week-end prolongé du 15 août, ils étaient des centaines à venir lutter contre le projet d'enfouissement des déchets.
14. Une opposante est "exfiltrée" par ses camarades en passant du côté privé de la voirie : en revenant du bois, elle refusait un contrôle d'identité et avait croisé une patrouille à son arrivée. À ce moment-là, la pression est forte et la gendarmerie passe devant la maison de la résistance plusieurs fois par jour, parfois en filmant ou en photographiant.
15. Le 15 août, les militants - 500 selon les organisateurs, 250 selon la préfecture - détruisent en deux jours plus d'un kilomètre du mur érigé par l'Andra pour protéger les travaux. Contre toute attente, aucune présence policière ni aucun vigile ne sont repérés dans la forêt. Seuls des hélicoptères survolent la zone.
Ce travail a été réalisé entre avril et août 2016 à l'aide d'un Sony A7s, équipé d'une bague Novoflex qui accueille mes deux optiques Leica de prédilection : le 24 Summilux et le 35 Summicron IV.
Démarche : Habitué à réaliser des "photos essays" à l'étranger, je suis tombé en début d'année sur une colonne dans un journal satirique qui évoquait le projet CIGEO. Par curiosité, je suis allé voir la situation sur place, habitant à seulement quelques heures de Bure. L'approche a été difficile, mais j'y suis retourné plusieurs fois et j'ai été frappé par la détermination de ces opposants, l'ampleur du projet et le manque de débat ou d’intérêt dans l'opinion publique et médiatique sur la question. L'hiver approche et je souhaite continuer à documenter leur combat. Il me semble nécessaire de montrer qu'il existe des histoires méconnues en France, mais qui pourtant sont déterminantes et nous concernent tous. En l’occurrence, si le projet CIGEO se réalise, c'est 4000 générations qui le seront.
Merci!
