Derniers avis avant passage à l'acte

Phil VDD
    Pédagogie...
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Vieux briscard
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Arquennes
Pour prolonger le discours de Baudelaire auquel je faisais référence à la page précédente, je voudrais partager avec vous un texte écrit par un photographe belge dans les années 60 où il est question d'Art et de Photographie.

Il s'agit d'un photographe engagé qui s'appelait Marcel G. Lefrancq.

Il travaillait notamment au Leica.

Il a côtoyé pas mal de surréalistes.

A propos de sa vie et de son oeuvre, on trouvera deux sites:

Wikipedia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Lefrancq

et celui-ci: http://www.lefrancq.be/MGL/somMGL.htm où on trouve des images, de la poésie et le texte que j'ai reproduit ci-dessous pour des raisons de lisibilité.

Je crois qu'il est pertinent de présenter ce texte ici.

Il élargit présente les points de rencontre entre l'art et la pratique photographique, avec en trame de fond la technologie, il y a 50 ans.

Il y est aussi question de coeur et de certaines qualités qui ne s'achètent pas.

La fin du texte est particulièrement frappante.

Bonne lecture.



La photographie est-elle un art?


De grâce, ne posez plus cette question stupide et désuète.

En 1901, l’Académie Royale de Belgique couronnait un mémoire de 94 pages intitulé : “La rivalité de la gravure et de la photographie et ses conséquences” où l’on pouvait lire au cours d’un fastidieux plaidoyer pour la gravure en taille-douce: “C’est la photographie maintenant qui conserve la mémoire des fêtes et des jubilés nationaux; mais au lieu de l’enthousiasme patriotique que la gravure aurait su y exprimer, elle n’expose plus à nos regards que la représentation d’innombrables chapeaux boules.

Nous en jugeons toute la niaiserie à la lumière surtout de ces féroces images publiées lors de la découverte des enfers de Ravensbrück ou de Dachau, et aussi de celles ramenées des fronts d’Europe ou d’Asie par les héroïques correspondants de guerre.

Et cependant, bien avant, il y avait eu ces grands artistes que furent Bayard, Atget, Nadar, Braun...

Bayard, le premier photographe à qui nous devions une exposition, une exposition de “dessins photogénés”, puisque "photographie", mot créé par von Malder, n’effleurait encore que quelques lèvres allemandes, exposition qui ouvrit ses portes à Paris le 24 juin 1839.
Bayard, le précurseur oublié écrasé sous le verbiage du rapport de l’Académie en date du 19 août 1839 sur la découverte (?) de Daguerre.
Bayard volontairement oublié par les savants officiels et qu’Arago suppliait de ne rien publier de sa découverte “pour ne pas nuire à Daguerre.”
Bayard, qui fut non seulement le premier photographe, mais aussi un artiste qui sut donner à la lumière toute sa valeur.

Ses six cents épreuves conservées à la Société française de Photographie sont là pour le prouver.

De Nadar, je ne rappellerai que les portraits de Baudelaire ou de Delacroix; et revoyez aussi les touchantes Images de Paris que nous a laissé Braun: son Pont Neuf, sa grille des Tuileries, au début du Second Empire.


Cependant je répondrai non à la Question devant le 6x9 superglacé, bords déchiquetés, etc. de l’amateur.

Poussez le bouton, nous faisons le reste” disait le slogan de Mr. Eastman.

Vous voyez d’ici la jolie fille du quartier au garde-à-vous près de la plus belle pivoine de son jardin.

Il n’y a pas plus d’art là dedans que dans la peinture d’une façade en vert pomme.

Néanmoins, Art, la photographie l’est quand elle n’est que Photographie.

Quand elle ne doit et ne veut rien devoir aux autres techniques graphiques.

Par la faute de quelques-uns, la photographie fut au début de ce siècle presque acculée au suicide, à cette époque où elle essayait piteusement d’imiter soit la peinture ou la gravure par un tas de procédés pour le moins antiphotographiques.

C’était cette pauvre époque de la photographie interprétée à grand renfort de brosses et d’encre grasse, l’âge d’or de la Photographie Artistique où l’Artiste en lavallière et grand chapeau, le rapin du 13x18, après son traditionnel “souriez s’il vous plaît” promettait de dessous son voile noir un p’tit zoiseau à l‘enfant souvent effrayé et toujours emprunté dans son beau costume des dimanches.

Période dont les quelques rares paysagistes ne nous ont laissé que les pseudo-lavis de la gomme bichromatée.

À cette époque H. Hymans écrivait: “On ne saurait faire à un peintre de plus cruelle injure que de supposer qu’il vise à placer ses oeuvres au niveau de la photographie.”

Lignes très justes dont la réciproque est tout aussi vraie.

Après la Grande Guerre, quelques jeunes fous le comprirent qui virent la puissance de la photographie en soi.

C’étaient les adeptes de la Photographie Nouvelle, pure, objective, photographique pour tout dire; la Neue Sachlichkeit* de l’école allemande.

Ces conceptions d’il y a vingt ans** ne sont plus maintenant que routine du métier, ces conceptions, révolutionnaires alors, d’un art qui se retrouvait lui-même, sont aujourd’hui des dogmes presque desséchés, aucun art n’ayant subi après la dernière guerre une crise de croissance comparable à celle qui suivit 1914-1918.

La photographie a suivi le rythme général d’une évolution sans révolution.

Il n’y a pas plus loin entre la photographie de 1939 et celle de 1949 qu’entre la peinture ou la sculpture de ces années.

Les moyens techniques ont évolué, le champ des possibilités s’est élargi dans tous les domaines: matériel sensible, optique, couleur, mouvement, voilà tout.

Il est temps aujourd’hui que se lève une nouvelle génération qui brise les chaînes de la timidité et dépasse les limites atteintes.

Elle ne le fera pas sans soulever l’indignation de la masse qui ne prend aucune initiative pour accepter les conventions admises.

Cette génération commettra ses erreurs, ses outrances, comme le firent ses aînées.

Mais ces outrances plus apparentes que réelles ne seront-elles pas préférables aux habitudes monstrueuses dictées par l’étiquette?

Deux artistes déjà ont brisé leurs chaînes: Erwin Blumenfeld et Man Ray.

Plus exactement, ils n’ont jamais connu de chaînes et la photographie est pour eux le laboratoire magique d’où sortira une nouvelle Beauté.

Avides toujours de découvrir les mots nouveaux du langage photographique, leur imagination n’est jamais au repos, leur esprit jamais satisfait.

Un mot seul peut les caractériser: Explorateur.

Non, la photographie n’a pas tout dit encore.

Plus que jamais la Photographie s’avère un Art dont les possibilités ne cessent d’élargir un champ tout à la mesure de notre époque, comme l’écrivait il n’y a pas un an un dessinateur de grand talent.

Sougez, Man Ray, Blumenfeld, Rogi André, Karsh, et quelques autres, sont des maîtres incontestés, mais que restera-t-il de l’oeuvre des milliers de portraitistes (quel terme pompeux) de par le monde?

Car maintenant, 110 ans après les découvertes presque simultanées de Niepce, Bayard, Hill, la psychologie du portrait dans notre vie matérielle à outrance, est encore si mal comprise, si mal délimitée, si négligée même, que l’état d’âme du modèle tient rarement une place, même infime, dans la majorité des cas.

Trop de photographies se contentent de raconter l’anecdote retouchée d’un visage sans explorer le paysage humain sous-jacent.

Et cela tient peut-être à son essence même, à la facilité d’opération, à la rapidité, à l’Instantané, terme par excellence photographique.

Un trait, une expression passagère est saisie au vol, mais le caractère lent à sortir des fibres profondes est absent.

Bien que notre époque ne se conçoive pas sans la photographie, que tous admettent comme ressource excellente pour les sciences ou le reportage, on rencontre encore des critiques, croyant vraiment avoir le sentiment de l’art, qui soutiennent qu’en sa qualité de simple reproduction mécanique elle tue en nous l’élément créateur et devient une menace pour l’art.

Ce mécanisme ne fait que reporter la création sur un autre plan.

Choisir, voir un sujet, un angle, la proportion d’ombre et de lumière, le degré de définition de l’image, n’est-ce pas création pleine de liberté vis-à-vis de la nature?

N’est-ce pas là la force des artistes, de tous les vrais artistes, de nous donner des Images qui ne copient pas le réel mais qui, reconstruites en eux, sont plus vraies que le réel.

Il suffit de voir “La Fourchette” d’André Kertesz pour comprendre combien un objet aussi journalier mais isolé de son décor banal peut nous ouvrir les portes du rêve.

Tous les perfectionnements techniques n’ont rien apporté et n’apporteront rien au pouvoir d’expression de la photographie, pouvoir d’expression qui reste fonction de la sensibilité de celui qui déclenche l’obturateur au seul moment photogénique de l’objet, du visage ou du paysage.

On peut être poète du mot, du son, de la couleur ou de la lumière, l’outil n’est rien, seul compte le coeur.

Marcel G. Lefrancq.




* La Nouvelle Objectivité
** Ce texte a été écrit vers 1960.
"Toute photographie est une fiction qui se prétend véritable. (...) la photographie ment toujours, elle ment par instinct, elle ment parce que sa nature ne lui permet pas de faire autre chose." Joan Fontcuberta
telemetrix
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costarmorique
Trop fort.
Partir d'une question sur l'opportunité de "passer à l'acte", en clair, de troquer un D700 contre un M9 et aboutir (Phil VDD) à Baudelaire puis à la poésie du mot, du son, de la couleur ou de la lumière, çà c'est génial.
En tant que modeste et simple amateur, je ne regrette pas d'avoir rejoint tout récemment votre estimée communauté.
Alors je risque ma petite question :
Pourquoi, là où certains disent "prendre"une photo, d'autres disent "faire" une photo ?
Cordialement
Jacques.
danyves
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Vieux briscard
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Normandie
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http://www.regard-sur-limage.com/spip.php?article373
Phil VDD
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Vieux briscard
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Arquennes
Merci "danyves" pour ce lien.

J'ai trouvé aussi sur le même site: http://www.regard-sur-limage.com/spip.php?article402

Un propos qui rejoint ce que j'essayais d'exprimer autour de l'exemple du céramiste quand notre non-ami s'est énervé et est devenu insultant, un peu plus haut sur le fil...
:cry:
"Toute photographie est une fiction qui se prétend véritable. (...) la photographie ment toujours, elle ment par instinct, elle ment parce que sa nature ne lui permet pas de faire autre chose." Joan Fontcuberta
Phil VDD
    Celui qui compte le moins, peut-être, en photographie...
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Vieux briscard
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Arquennes
Décidément, il y a bien peu de retours (merci "TELEMETRIX 22" et "Danyves" de lire avec moi).

Malgré le fait que le sujet semble passionner peu, j'ai pris un peu de temps pour retranscrire un texte qui me semble très intéressant.

Et de vous le faire découvrir.

Il est paru dans une revue française du début des années 80: "Les Cahiers de la Photographie".

Une citation de ce texte et son auteur sont cités par Henri Van Lier dans sa "Philosophie de la photographie".

J'ai retranscrit un passage un peu plus large que la citation en question (reprise en gras).

Quel rapport avec ce fil, me direz-vous?

Et bien il est justement question de l'acte photographique, de sa spécificité.

Et aussi: à propos de la place de l'auteur.

J'espère que ça nourrira votre réflexion.


citation :
Extrait de l’éditorial. « Les Cahiers de la Photographie /2 ». Littérature / Photographie.
2ème trimestre 1981. Revue trimestrielle de critique contemporaine.



Quiconque photographie, entre dans une compromission inéluctable avec le réel, et la photographie, contemplée, y renvoie sans appel ; à travers elle, Barthes ne veut voir que le référent, « la chose exorbitée ».

Cela, bien sûr, ne fait pas toujours l’affaire de la littérature, laquelle se donne rarement comme projet, même lorsqu’elle commet l’erreur des pires naturalismes, de redoubler sérieusement l’évidence référentielle.

L’image photographique étant pleine, nous signale encore Barthes dans La Chambre claire, « on ne peut rien y ajouter ».

C’est donc entre les images, ou autour de l’acte de prendre des images, ou encore dans le lien bouleversant qui soude la Mort à la photographie, que la littérature accompagne celle-ci, et s’y reconnaît.

C’est également autour du Temps et du sujet que les deux pratiques se questionnent ou se rejoignent.

Le Temps, dont Blanchot disait, dans L’Espace littéraire, qu’écrire était se livrer à la fascination de son absence.

La photographie, tout au contraire, inscrit celui qui s’y engage dans la certitude du déroulement temporel, lui indiquant sans cesse, même si elle n’est au mieux que nostalgique, la rétention du passé (1).

Quant au sujet, dont on sait, depuis Mallarmé, qu’il disparaît de l’œuvre au profit de l’écriture et du langage (« La parole poétique n’est plus la parole d’une personne… »), force est de constater que la photographie le congédie singulièrement, ne serait-ce que parce que son énonciation s’y fait problématique (2).

Celui qui compte le moins, peut-être, en photographie, est finalement celui qui la prend.

De cette mise à l’écart frustrante, naît sans doute, chez beaucoup, le désir de s’y inscrire absolument, y compris par le jeu/je de l’écriture.

Gilles Mora.


(1) Sans doute à cause de cela, pour beaucoup, la photographie constitue une pratique autobiographique nouvelle (« photobiographie » ?) infiniment plus troublante que celle par écriture.


(2) Sur cette question, voir les jalons posés par A. Bergala dans son article : « De la notion d’auteur et du mystère en photographie » in Education 2000, n°17, automne 1980.


"Toute photographie est une fiction qui se prétend véritable. (...) la photographie ment toujours, elle ment par instinct, elle ment parce que sa nature ne lui permet pas de faire autre chose." Joan Fontcuberta
yperrot
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AVEYRON
15 jour avec le M8 de mon fils et hop le M9 replace le D700 .
incroyable cette impression d'espace, de rendu des textures et des ombres. on ne photographie plus une image (verre dépoli) mais bien la vie.
C'est pas les mêmes photos, il me semble que le regard change.
J'avais déjà eu cette impression avec un contax G2.
Et puis le volume, je ne fais plus peur et l'appareil devient invisible, le contact demeure.

je pars en voyage, je vous raconterais au retours

je partage le même sentiment que "telemetrix 22"
Le "lâcher prise" remplace le "control permanent"
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