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Un summiluxien à Solms par Parmodyne.

Enfin je me décide à livrer aux "Summiluxiens" mes impressions après ma visite de l'usine Leica de Solms. J'ai effectué cette visite le 31 mai dernier en compagnie de mon épouse. Cette visite avait été organisée de façon un peu fortuite. Je n'étais pas satisfait du déclenchement de mon M7 acheté en décembre 2004 et celui-ci était retourné une première fois à Solms. La retouche effectuée n'étant pas pleinement satisfaisante à mon goût (c'est vrai, je suis un peu exigeant - mais vu le prix...), j'avais décidé, en accord avec le CCL de Lyon (Bruno, un revendeur très motivé), de me rendre à Solms pour faire rectifier le réglage du déclencheur (problème de course et de sensation). J'en avais profité pour amener mon MP et mon Minilux pour contrôle de l'obturateur. J'ai eu la chance d'être reçu par un responsable parlant français, et pendant que les techniciens du SAV au "Customer Center" bichonnaient mes chers appareils, nous avons entrepris la visite de l'usine (qui est implantée ailleurs à Solms). On ne montre au visiteur (en tout cas à moi) que ce qu'on veut bien lui montrer. Inutile d'espérer traîner dans le bureau d'études, ce qui paraît normal. On ne m'a montré que la fabrication des objectifs et l'atelier d'assemblage des M et des R. Après avoir contemplé la famille des LEICA anciens et modernes réunis dans une vitrine dans le hall de réception, la visite a commencé par la fabrication des objectifs. Pour des raisons de propreté autant que de discrétion, le visiteur circule le long de cet atelier dans un couloir avec des parois vitrées permettant de voir les machines et les opérateurs. L'atelier est "hors poussière" en légère surpression. Le long de ce corridor, des vitrines sont installées pour présenter avec des explications les différentes phases de fabrication des objectifs. Ils reçoivent de leurs fournisseurs (Schott entre autres) des ébauches de lentilles qui se présentent sous la forme de cylindres un peu plus longs que l'épaisseur de la lentille finie. LEICA n'élabore pas ses verres ; elle les sous-traite à des verriers qui les fabriquent selon ses spécifications. À partir de là, intervient le véritable savoir-faire de LEICA. Les ébauches de lentilles, qui ont donc à ce stade deux faces parallèles, sont usinées puis polies sur des machines par enlèvement de matière. Toute lentille mesurée hors tolérance après usinage et polissage est rebutée. La plus grande difficulté réside dans l'usinage des lentilles asphériques qui équipent de plus en plus d'optiques. Une machine, unique au monde (d'après LEICA), et fabriquée selon une conception exclusive LEICA assure cet usinage. Mon guide m'a rappelé à ce sujet que les lentilles asphériques, par la correction des aberrations qu'elles procurent, permettent en général de faire l'économie d'un élément dans un objectif. Cela permet, outre un gain de poids, de supprimer une surface air-verre, donc de diminuer les réflexions parasites. Les lentilles subissent ensuite le traitement anti-reflets. Je suis incapable de le décrire précisément car je n'ai pas retenu les explications qu'on m'a fournies ; mais de nombreuses plaquettes LEICA en ont vanté les avantages. Certaines opérations délicates restent très manuelles et nécessitent un "tour de main" que seules quelques opératrices semblent maîtriser, la peinture manuelle en noir du chant des lentilles par exemple. Des lentilles pratiquement parfaites ne donnerait pas un objectif parfait si la partie mécanique n'était pas à la hauteur. Celle-ci n'est donc pas en reste. Par exemple pour obtenir cette onctuosité dans la rotation de la bague de mise au point si caractéristique des objectifs LEICA, les bagues hélicoïdales sont usinées pour obtenir un léger serrage; puis elles sont rodées à la main jusqu'à ce que le "toucher" de la bague soit satisfaisant. On est évidemment loin d'une production entièrement automatisée. Ça coûte cher... De nombreux contrôles intermédiaires ont lieu tout au long de la fabrication. Interrogeant mon hôte sur l'autofocus, ce dernier m'a confirmé que LEICA avait développé en son temps un système, dont ils ne se sont pas servis eux mêmes. L'absence d'autofocus sur les optiques LEICA n'est sans doute pas une absence de savoir-faire dans ce domaine. D'ailleurs il me précise également que si LEICA voulait fabriquer des objectifs autofocus avec la même précision mécanique et la même robustesse que les objectifs actuels, il faudrait un moteur "de compétition" incompatible en terme de poids et de consommation électrique avec un appareil maniable. Autre caractéristique de la production des objectifs, ils travaillent par campagne puis stockent. Il n'est pas difficile d'imaginer que la production de M21 ou de R180 ne soit pas réalisée en continu. Il faudrait pour cela que les "Summiluxiens" fassent de gros emprunts auprès de leurs banquiers. Enfin je vous livre une remarque de mon hôte au sujet de la qualité des optiques LEICA : "aujourd'hui aucun support, ni argentique, ni numérique ne permet de restituer pleinement la qualité de nos objectifs". A la fin de la visite, on est persuadé que cette affirmation n'est pas un simple argument commercial.

Après les objectifs, nous voici devant l'atelier d'assemblage des boîtiers M et R. Une trentaine de personnes y travaillaient lors de notre visite. Malgré l'ambiance morose due aux incertitudes de la société, chacun est à son poste et rien ne transparaît pour le visiteur. Avant d'entrer, obligation de revêtir une blouse antistatique afin d'éviter d'affaiblir ou de tuer les composants électroniques utilisés dans les boîtiers avec nos charges électrostatiques. Nous sommes reçu par le chef d'atelier, plutôt jeune. Il m'explique (traduction assurée par notre hôte), ce que j'ignorais, que les boîtiers M sont pré-assemblés dans l'usine LEICA sise au Portugal. En gros, l'usine du Portugal usine les boîtiers, réalise des sous-ensembles, assure un pré montage des boîtiers et les expédie à Solms. Là on assure l'assemblage des éléments les plus délicats (blocs télémètres par exemple), l'assemblage final et bien sûr, tous les réglages et contrôles divers. Pour information la récente série spéciale de M7 en Titane a été usinée par un sous-traitant suisse. L'usinage du titane est très particulier : les spécialistes de l'aéronautique doivent en savoir plus que moi dans ce domaine. Le nombre de pièces détachées dans un M est assez impressionnant : 1300 composants. Pour moi qui ai fait toute ma carrière dans l'industrie et qui ai assuré pour des grands donneurs d'ordre l'assemblage de leur matériel, et pour avoir assemblé pendant plusieurs années des petites machines bureautiques complexes qui comptaient au maximum 500 composants, je trouve ce chiffre très important. Le M est un appareil d'un autre âge... Mais j'y reviendrai un peu plus tard. Tous les équipements de fabrication, calibres, outillages, banc de contrôle sont fabriqués par LEICA. Un M7 nu est "plein comme un oeuf". C'est qu'en plus de la mécanique traditionnelle, il a fallu placer l'électronique qui est venue se loger dans tous les petits coins encore disponibles. Car contrairement au M5 auquel l'électronique avait fait prendre de l'embonpoint, les M7 ont gardé les mêmes cotes que les M4, M3, M2. Le bloc optique du viseur télémètre est également assez impressionnant. D'autant plus qu'on y a logé l'affichage du M7 (vitesses ou repères): les éléments de l'afficheur sont grossis 15 fois ! Ce qui expliquerait que, selon les M7, la netteté des éléments de l'afficheur présente des petites disparités d'un élément à l'autre. L'ayant constaté personnellement sur différents M7, je considère que c'est plutôt un défaut, même si l'information reste malgré tout toujours accessible. Ce point de vue n'est évidemment pas partagé par les gens de LEICA ; peut-être ai-je une vision un peu particulière quand j'ai l'oeil derrière l'oeilleton de mon M7. Le concept "LEICA à la carte" démarre plutôt bien même si les LEICA catalogue représentent le gros de la production. J'ai vu un M7 chromé rouge et un autre bleu du plus bel effet. Ce sont les femmes qui travaillent à l'atelier de montage des M qui ont conseillé aux responsables d'offrir le choix au client de couleurs vives et gaies. J'ai pu mesurer l'effet de ces couleurs sur la gent féminine : mon épouse était prête à me conseiller l'achat d'un nouveau M si je choisissais le rouge. Avis à ceux qui ont du mal à convaincre leurs femmes ou compagnes du bien-fondé de l'investissement dans un LEICA M.

On ne m'a pas communiqué aucun chiffre (et je ne les ai pas demandés), mais on m'a précisé : que le gros de la production des boîtiers étaient des M, que la baisse de production cette année était très importante et préoccupante. Par contre il est réconfortant de constater qu'elle ne concerne pas les objectifs nouveaux !

La production des R en effet ne représente qu'une très faible partie de l'atelier (10% peut-être). Lors de notre visite, il n'y avait aucune production de boîtiers R en cours. Je suppose que le nombre de boîtiers produits annuellement ne doit pas être très important...

Quelques personnes par contre s'occupaient du dos numérique. Actuellement le pré montage du dos numérique est fait à Solms. Puis les dos partent au Danemark chez IMACON pour l'intégration logicielle. Ils reviennent ensuite à Solms pour la finition et les contrôles. Délai et coût en conséquence... Mais c'est paraît-il un passage obligé dans l'immédiat. Tous les retours d'expérience des premiers utilisateurs sont très encourageants : les résultats sont jugés exceptionnels ! A ma question naïve (et un peu stupide) de savoir pourquoi LEICA avait choisi un coefficient de 1,3 et non pas de 1 comme CANON par exemple, on m'a expliqué une évidence : la chambre du R9 ne permettait pas d'accueillir un capteur et sa connectique avec un coefficient de 1 ! Quel sera le coefficient retenu sur le futur M numérique ? Au sujet du M numérique, mon interlocuteur fut très discret. De cette discrétion, j'ai déduit, peut-être à tort, que la sortie d'un éventuel M numérique risquait d'être lointaine. Mais je comprends bien aussi qu'on ne souhaite pas révéler ses plans marketing au premier visiteur venu... La visite était terminée. Elle avait duré près de deux heures. J'étais content d'être rentré dans le "temple" de l'optique et de la photographie. Un peu étonné quand même car je m'attendais à plus important et plus spectaculaire. C'est vrai que ma curiosité m'aurait poussé à rentrer davantage dans la fabrication des objectifs qui, pour moi, est plus fascinante que l'assemblage des boîtiers. Cette visite m'inspire quelques réflexions. Le coeur de métier et le vrai savoir-faire de LEICA, c'est l'optique et la fabrication des objectifs qui sont vraiment des pièces uniques. Leur modèle économique peut-il survivre en assurant à ces objectifs le seul débouché de leurs boîtiers M et R ? Pour le moment, les événements semblent apporter une réponse négative à cette interrogation. Interrogeant notre hôte sur ce sujet, et lui demandant pourquoi LEICA ne vendait pas ses objectifs à d'autres fabricants, je n'ai eu droit qu'à une réponse évasive... Quant aux boîtiers, même si j'en reste un amoureux, je m'interroge sur la possibilité de maintenir un appareil aussi compliqué et aussi cher à fabriquer. Comme me faisait remarquer notre hôte, leur drame vient pour une part de la robustesse de leur matériel et de leur stratégie de réparer des appareils qui ont plusieurs dizaines d'années (M2, M3...). Ceci est très gratifiant pour les clients que nous sommes car ceci nous sécurise sur la pérennité de notre matériel, mais cela ne fait pas tourner les ateliers et cela n'apporte pas des flux financiers suffisants. Il n'est que lire le posts sur "summilux.net" et voir l'ardeur que mettent certains de ses membres à continuer à faire vivre des boîtiers et des objectifs qui ont parfois plusieurs dizaines d'années : c'est sans doute passionnant, mais il est antinomique de vouloir la survie de LEICA et de ne pas leur acheter de matériel. Là je sens que je ne vais pas me faire uniquement des amis... Heureusement que certains cassent leur tirelire et achètent des Summilux, Summicron ou autres Elmarit ; heureusement que certains remplacent leurs optiques un peu anciennes pour renouveler leur gamme au fur et à mesure que LEICA renouvelle la sienne ; sinon c'est la mort assurée. Mais je reconnais aussi que l'occasion permet à des passionnés pas trop fortunés d'accéder à la qualité (à la magie?) LEICA. Bref, vous vous en doutiez, je n'ai pas de réponse au problème !

Amicalement à vous tous.

Parmodyne

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